Fluides vitaux
À pareille date l’an dernier, nous vous proposions un petit « remontant des fêtes » pour vous mettre dans l’ambiance des festivités de la fin de l’année. Dans le même esprit, nous vous offrons cette fois-ci une boisson plus corsée : l’eau-de-vie. Comme son nom l’indique, on la considérait jadis comme un fluide vital. Mais on s’est ravisé depuis ; alors, n’allez surtout pas en faire votre remède quotidien… En fait, nous ne procèderons qu’à la distillation étymologique inoffensive de trois mots désignant des eaux-de-vie, soit eau-de-vie, whisky et aquavit. Au terme de l’opération, on verra qu’ils sont finalement constitués des mêmes ingrédients. Soyons clairs : pour l’alcool, nous vous recommandons une sage modération, surtout au volant, mais, pour ce qui est de l’étymologie, allez-y sans modération !
eau-de-vie
L’eau-de-vie est le produit de la distillation d’un liquide à faible taux d’alcool. Élaborée au Moyen Âge par des alchimistes, elle était réputée prolonger la vie. D’abord utilisée pour ses vertus médicinales (antiseptiques, gargarismes, etc.), elle révéla à la Renaissance une autre propriété, l’enivrement… Pour son pouvoir d’allonger la vie, les alchimistes l’appelèrent aqua vitae, qui signifie littéralement en latin ‘eau de vie’, décomposable en aqua ‘eau’ et vitae ‘de vie’, forme génitive de vita ‘vie’.
L’expression fut calquée au XIVe siècle en français pour donner eau-de-vie. Elle fut également soit empruntée, soit calquée dans plusieurs autres langues d’Europe, par exemple en suédois (akvavit) et en gaélique (uisce beatha, abrégée en whisky en anglais). Certaines expressions synonymes de aqua vitae ont également laissé des traces dans les langues modernes, comme le latin aqua ardentis ‘eau ardente’, calqué en aguardiente en espagnol. Bien que n’ayant pas subi l’influence du latin aqua ardentis, l’ojibwé iškoteewaapoo (de iškotee ‘feu’ et aapoo ‘liquide’) a été forgé de façon similaire pour désigner le breuvage des Blancs qui brulait la gorge. Cette expression a été traduite en anglais par firewater (de fire ‘feu’ et water ‘eau’), qui a inspiré l’expression française eau-de-feu. Enfin, d’autres langues ont formé le nom de leur eau-de-vie seulement à partir d’un radical signifiant ‘eau’. Ainsi, le polonais a créé le mot wódka ‘petite eau’ à partir de wóda ‘eau’, adapté en russe sous la forme vodka.
whisky
Le whisky est une eau-de-vie de grain, populaire dans les pays anglo-saxons, qui se décline en plusieurs variétés (bourbon, scotch, rye). Il a été fabriqué originalement en Écosse et en Irlande. Même s’il est d’apparence anglaise, le mot qui le désigne a été tiré de la langue traditionnelle de ces deux pays, soit le gaélique. En effet, whisky est une adaptation de uisge (ou uisce) ‘eau’, une troncation de uisge beatha ‘eau de vie’ (de uisge ‘eau’ et beatha ‘vie’), dont la forme complète est demeurée dans usquebac ‘whisky écossais aromatisé de plantes’. L’expression gaélique a été calquée sur le latin médiéval aqua vitae, à l’instar du français eau-de-vie.
Le français emprunte whisky au XVIIIe siècle. Le mot figure d’abord sous différentes graphies (whisky, wisky, whiskey), autant en anglais qu’en français. C’est la graphie whisky qui finit par l’emporter, la graphie whiskey ne référant plus qu’aux contextes irlandais et américain. Par ailleurs, le terme scotch est réservé au whisky écossais.
akvavit
Akvavit désigne en suédois et en danois une eau-de-vie faite à partir d’une céréale ou de pommes de terre, et qu’on aromatise avec diverses herbes ou épices (carvi, aneth, cumin, anis, fenouil, cannelle, orange amère…). Le mot akvavit correspond à akevitt en norvégien et à akvaviitti en finnois. Ces mots constituent l’adaptation de l’expression latine aqua vitae, qui a donné eau-de-vie en français. Le français a d’abord emprunté au suédois la variante étymologique aquavit au tournant du XXe siècle, puis la variante « suédisée » akvavit dans les années 1920, qui est devenue de loin la plus courante.