Remontants des fêtes
Pour certains, il n’y a rien de tel pour se mettre dans l’ambiance de la période des Fêtes que de s’émoustiller avec un petit « remontant des fêtes » ! Dans cet esprit, nous vous proposons de commencer l’année en vous enivrant de l’étymologie particulièrement pétillante de trois noms de boissons. Il s’agit de cocktail, punch et grog, dont la bouche anglaise révèlera à force de dégustation des notes françaises ou indiennes. Mais prenez garde d’en abuser, car ce cocktail lexical a du punch et peut facilement vous rendre groggy. Bonne année !
cocktail
Comme le suggère sa graphie, le nom cocktail provient de l’anglais. Cependant, il avait lors de sa formation au XVIIIe siècle un sens tout autre. En effet, il signifiait ‘cheval dont la queue a été anglaisée’, sens hérité de l’adjectif correspondant cock-tailed. L’adjectif a été formé par la composition des noms cock ‘coq’ et tail ‘queue’, qui établit la comparaison entre la queue relevée du coq et celle du cheval ayant subi l’anglaisage, une opération (à l’origine anglaise) consistant à couper les muscles abaisseurs de la queue d’un cheval pour qu’elle reste relevée. Comme cette opération était pratiquée sur des chevaux bâtards pour leur donner un port noble, le terme cocktail désigna par extension ce type de cheval, puis un roturier tentant de se faire passer pour un gentleman. On connait d’ailleurs en français une attestation isolée de ce dernier sens au milieu du XVIIIe siècle.
Le sens actuel ‘boisson faite d’un mélange’ de cocktail a pris naissance aux États-Unis au début du XIXe siècle. Selon toute vraisemblance, il provient du caractère « bâtard » de cette boisson. Le mot pénètre en français une trentaine d’années plus tard. Par métonymie, on en a tiré le sens ‘réunion où l’on boit des cocktails’. Le français a aussi emprunté à l’anglais le sens figuré ‘mélange’ (un cocktail de médicaments, un cocktail réussi d’émotion et d’humour). À partir de la Première Guerre mondiale, certains écrivains français ont utilisé des graphies francisées de ce mot, dont coquetel. Maintenant désuète en France, la graphie coquetel se retrouve occasionnellement au Québec dans des contextes officiels (coquetel dinatoire). Elle fait d’ailleurs l’objet d’une recommandation de l’Office québécois de la langue française.
La locution cocktail Molotov a été utilisée la première fois lors de la guerre soviéto-finlandaise (« guerre d’Hiver » de 1939-1940) par les soldats finlandais pour tourner en dérision une déclaration mensongère du ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique et proche de Staline, Viatcheslav Mikhaïlovitch Skriabine, connu sous le pseudonyme de Molotov (molot signifiant ‘marteau’ en russe). Dans des émissions de radio, il affirmait que les Russes ne lançaient pas des bombes, mais plutôt de la nourriture aux Finlandais affamés. Prenant sarcastiquement sa déclaration au pied de la lettre, les soldats finlandais répondaient aux « paniers de piquenique de Molotov » par des « cocktails Molotov » (Molotovin cocktail en finnois), consistant en des bouteilles de liquide inflammable, qu’on lançait sur des cibles pour qu’elles s’enflamment. Molotov ne peut être tenu responsable de l’arme qui porte son nom : on en usait déjà lors de la guerre civile espagnole de 1936-1939. Or, ironie du sort, il fut le premier administrateur d’un projet qui mena à la conception d’une arme beaucoup plus puissante : la première bombe atomique russe !
punch
Malgré le fait que le punch puisse « cogner » lorsqu’on en abuse, il ne faut pas croire qu’il existe un lien entre cette boisson et l’aptitude d’un boxeur à porter des coups puissants, appelée également punch. En effet, si on remonte plus loin que l’origine anglaise de ces deux acceptions, on constate que l’acception ‘mélange de boissons servi dans un bol’ provient de l’hindi pānc ‘cinq’ (du sanskrit pañcan), à cause des cinq ingrédients qui composaient le punch original, soit l’alcool, le sucre, le citron, l’eau et les épices ; l’acception ‘aptitude d’un boxeur’, apparentée à poinçonner, remonte quant à elle à l’anglo-normand.
Dans sa première acception, le mot a accosté en Angleterre dans la première moitié du XVIIe siècle par l’intermédiaire des employés de la Compagnie britannique des Indes orientales. Il traverse en France quelques décennies plus tard. Il s’y francise en ponche au XVIIIe siècle, puis reprend la graphie anglaise au tournant du XIXe siècle, tout en conservant sa prononciation originale française [pon-che]. Au Québec, en revanche, c’est la prononciation originale anglaise [ponn-(t)ch] qu’on rencontre quoique, jusqu’à récemment, on utilisait la prononciation francisée [pon-se] (transcrite ponce) pour signifier ‘grog’.
grog
Le mot grog est associé à Edward Vernon, un vice-amiral britannique qui combattit maintes fois les forces espagnoles. En 1740, il ordonna lors du siège de Carthagène, en Colombie, qu’on coupe le rhum des marins avec de l’eau pour l’économiser. On y ajouta par la suite du jus de citron pour aider à conserver la pureté de l’eau. Sans qu’on le sache à l’époque, cet apport de vitamine C préserva les marins notamment du scorbut. Constatant l’effet bénéfique de ce nouveau breuvage, on le servit de plus en plus aux personnes enrhumées ou grippées. Même si son efficacité n’était pas toujours assurée, le rhum aidait au moins à oublier le rhume… !
Comme le vice-amiral Vernon était surnommé « Old Grog », on nomma le nouveau breuvage grog, qui fut rapidement adopté par les Français. Ce sobriquet lui venait de son habitude de porter un manteau, fait d’un tissu côtelé appelé grogram, une altération du français gros-grain, de même sens. Quelques décennies après la création de grog, on dériva de ce nom l’adjectif groggy, dont le sens premier de ‘étourdi après avoir bu du grog’ fut supplanté par le sens de ‘étourdi après avoir reçu un coup’. C’est dans ce dernier sens qu’il fut emprunté par le français au début du XXe siècle.