Dégustation d’apéritifs
Nous reprenons ce mois-ci une tradition de Noël interrompue en janvier 2018, soit celle de nous enivrer de l’histoire savoureuse des noms de boissons. Notre bar étymologique vous invite cette fois-ci à une dégustation de quatre apéritifs, sangria, kir, martini et porto, qui nous fera voyager en Europe (Portugal, Espagne, Angleterre, France, Italie), en Amérique (États-Unis, Antilles) et en Afrique. Joyeux Noël et bonne année !
sangria
La sangria est une boisson espagnole composée traditionnellement de vin rouge sucré et de morceaux de fruits macérés. Elle évoque naturellement l’Espagne, mais en poussant notre dégustation plus loin, on peut y percevoir aussi une saveur anglaise, française, et même, africaine. En effet, cette boisson aurait vu le jour au XVIIIe siècle dans les Antilles anglaises et françaises, où travaillaient de nombreux esclaves africains, pour se répandre ensuite dans diverses régions d’Amérique. Elle ne s’est popularisée en Espagne qu’à partir du XIXe siècle, mais elle y connait un tel succès qu’elle peut aujourd’hui être hissée au rang de boisson nationale.
Le nom français sangria n’est attesté que depuis les années 1960, où il a été emprunté à l’espagnol. Au-delà, les hypothèses divergent. La plus simple suggère que la couleur rouge de la boisson l’apparenterait au sens ‘saignée’ de sangría. Dans ce dernier sens, sangría a en effet été dérivé par l’ajout du suffixe -ía ‘action’ au nom sangre ‘sang’, du latin sanguis. L’autre hypothèse est plus étonnante, mais probablement plus vraisemblable, étant donné la plus grande ancienneté des étymons proposés et leur origine antillaise, comme la boisson elle-même. Sangría ne serait pas lié à sangre, mais aurait plutôt été réinterprété à partir de son équivalent français des Antilles, sang-gris, lui-même réinterprété à partir du mot sangaree, d’un créole anglais. Ce dernier remonterait à un étymon africain sangari qui désignerait une danse en cercle. Le rapport entre la danse et la boisson reste à déterminer, mais on peut au moins observer que les deux vont de pair dans une fête…
kir
Au cours de la première moitié du XXe siècle, il était de coutume à la mairie de Dijon de servir aux invités ce qu’on appelait alors un blanc cassis, soit un aligoté (vin blanc de Bourgogne) additionné de crème de cassis. En 1951, le maire coloré de l’époque, le chanoine Kir (né Félix Kir), prêtre et héros de la Résistance pendant la Deuxième Guerre mondiale, prêta son nom pour une campagne publicitaire de la maison Lejay-Lagoute, qui avait d’ailleurs créé en 1841 la crème de cassis. Le nom s’est graduellement répandu dans la langue courante, bien qu’il constitue une marque commerciale.
Dans les années 1970, on popularisa une nouvelle version du kir, où le vin blanc avait été remplacé par du champagne. Appelé simplement kir champagne au début, il fut rapidement appelé kir royal. Le qualificatif royal provient sans doute de la plus grande noblesse accordée au champagne.
martini
Le terme martini s’applique à la fois à un vermout (vin aromatisé avec des plantes amères et toniques) et à un cocktail. Le vermout apéritif, appelé Martini, est une marque de vermout blanc très célèbre. Elle est confectionnée par la distillerie italienne Martini e Rossi (d’abord Martini, Sola e C.ia), fondée en 1863 par l’homme d’affaires Alessandro Martini, par l’herboriste Luigi Rossi, l’inventeur du vermout, et par l’entrepreneur Teofilo Sola. Le cocktail, quant à lui, est composé de gin et de vermout blanc. Pour distinguer les deux boissons, les Américains ont qualifié le cocktail de dry martini, parfois abrégé en dry en français ou traduit par martini sec, à cause de son plus haut taux d’alcool.
Il est tentant d’expliquer le nom du cocktail par celui du vermout. Cependant, l’origine du nom du cocktail est obscure. Son homonymie avec le nom d’un de ses ingrédients clés pourrait ne résulter que d’une coïncidence étonnante. Ainsi, selon certaines sources, le nom dériverait de la ville de Martinez (en banlieue de San Francisco, en Californie), où le cocktail est censé avoir été inventé. D’autres prétendent que le cocktail martini aurait été mélangé la première fois par un barman du nom de Martini di Arma di Taggia à l’hôtel Knickerbocker de New York.
porto
Le porto est un vin portugais produit dans la région du Haut Douro, située à une centaine de kilomètres à l’est de la ville de Porto. Bien que son cépage soit d’origine portugaise, la tradition d’élever sa teneur en alcool est par contre anglaise. En effet, alors que les importations de vin français étaient bloquées pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg (1688–1697), l’Angleterre se tourna vers le Portugal comme nouvelle source d’approvisionnement. Cependant, comme le voyage était plus long, on eut l’idée d’ajouter du brandy au vin pour qu’il résiste au transport, donnant ce qu’on appelle un vin muté. Le porto était né !
Étant donné que c’est de la ville portuaire de Porto (qui veut justement dire ‘port’ en portugais) que partaient les barriques, on appela naturellement ce type de vin, vin de Porto, expression attestée en français depuis le milieu du XVIIIe siècle. Sa version tronquée, porto, la remplacera graduellement au cours du siècle suivant. Au début du XXe siècle apparait l’expression verre à porto, désignant un petit verre à pied, dont la partie inférieure est arrondie, mais la partie supérieure, droite, qu’on utilise pour le service du porto et des vins doux.