Virus étymologique
Vous avez toujours voulu savoir ce qui se cache derrière les mots? C’est que vous avez contracté le virus étymologique. Loin de nous l’idée de vous en débarrasser, nous allons plutôt en favoriser la propagation. Vous aurez compris que le sujet de ce mois-ci porte sur le thème, toujours d’actualité, des virus. En effet, nous ferons l’étude des mots virus, vaccin, inoculer et autres termes de la même souche sémantique.
Si les mots de la virologie sont souvent issus du monde scientifique, l’origine rurale de certains est beaucoup plus modeste. Il sera ainsi question, dans cette Histoire de mots, de puanteur, de poison, de vaches, de poules et de bourgeons de plantes…
virus
Le nom virus a été emprunté tel quel au latin impérial dans la deuxième moitié du XVe siècle. Il avait dans cette langue plusieurs sens liés aux sécrétions, dont ceux de ‘humeur susceptible de causer une maladie’ et de ‘puanteur’, qui s’ajoutaient aux sens ‘poison’, ‘venin’ ou ‘sperme’ du latin classique. Le sens d’origine est celui de ‘poison’, plus perceptible dans l’adjectif apparenté virosus ‘fétide, empoisonné’, qui a donné le français vireux ‘toxique, dans le domaine végétal’ (amanite vireuse).
Les premières attestations de virus en moyen français véhiculent le sens ‘humeur susceptible de causer une maladie’ du correspondant latin. La maladie pouvait être d’origine bactérienne ou virale, cette distinction étant alors inconnue. Ainsi, les médecins parlaient du virus du typhus, de la syphilis et de la fièvre scarlatine, alors qu’on sait aujourd’hui que ce sont des bactéries. Les biologistes distingueront les virus des bactéries à partir de la fin du XIXe siècle.
Dans les années 1920 émerge un sens figuré, ‘gout très vif pour’ (avoir le virus de la moto), qui permet d’assimiler métaphoriquement l’invasion de l’esprit par une passion à celle du corps par le virus biologique. Cet emploi est à rapprocher de celui de piqure (avoir la piqure de la moto), comme si on avait inoculé à quelqu’un le virus (c’est-à-dire le gout) de quelque chose. Avec l’apparition des ordinateurs au XXe siècle, on a aussi appliqué le terme virus à des portions de code informatique ayant la capacité de se reproduire et de se répandre de façon à nuire au fonctionnement d’un ordinateur, comme le font les virus biologiques. On trouve en anglais une des premières occurrences de cette acception en 1972 dans le roman de science-fiction When Harlie was One (en français, Quand Harlie avait un an), écrit par David Gerrold. Le français l’adoptera une quinzaine d’années plus tard.
L’adjectif correspondant, viral, (comme dans infection virale) s’emploie depuis les années 1950. Il est possible qu’il ait été emprunté à l’anglais, qui atteste le mot quelques années auparavant. Son sens ‘produit par un virus’ a été transposé dans le domaine des communications à la fin des années 1980 pour désigner la propagation rapide d’une information publicitaire (marketing viral), puis de toute information dans les médias sociaux (vidéo virale, campagne virale).
vaccin
L’histoire de vaccin est liée à celle de vaccine. Ce dernier nom est apparu au milieu du XVIIIe siècle par la francisation du dernier terme de son appellation en latin médiéval : variola **vaccina**, littéralement « variole des vaches ». L’adjectif vaccinus ‘relatif aux vaches’ (attesté chez Pline) est un dérivé du nom vacca ‘vache’, également à l’origine du nom français vache.
Les travailleurs laitiers contractaient souvent la vaccine, un virus cousin de celui de la variole, mais ne contractaient par la suite que rarement cette dernière, beaucoup plus virulente. Edward Jenner (1749-1823) conclut qu’on pouvait immuniser les patients contre la variole en leur inoculant la vaccine. Il publia sa découverte révolutionnaire en 1798 dans An Inquiry into the Causes and Effects of Variolae Vaccinae (en français, Enquête sur les causes et les effets de la vaccine). Jusque-là, on avait tenté l’immunisation contre la variole en utilisant le virus non atténué de la même maladie.
Tout au début du XIXe siècle, on crée le correspondant masculin vaccin pour désigner une substance organique qui immunise une personne contre la vaccine. Un demi-siècle plus tard, on élargit sa portée à toutes les maladies. Les dérivés vaccination et vacciner ont connu la même généralisation.
Le premier vaccin obtenu par l’atténuation du même virus que celui contre lequel on désire immuniser le sujet fut mis au point par Louis Pasteur en 1879. Il immunisera ainsi des poules contre le choléra aviaire en laissant reposer des cultures de ce virus; en 1885, il procèdera aux premiers essais sur l’homme d’un vaccin contre la rage.
inoculer
Comme le mot vaccin, les termes médicaux inoculation et inoculer trouvent leur origine dans la vie rurale. Les anciens Romains appelaient oculus ‘œil’ le bourgeon d’une plante, à cause de sa forme. La greffe d’un bourgeon sur une plante différente était pour cette raison appelée inoculatio, du verbe inoculare. C’est d’ailleurs dans cet emploi que inoculation fera ses débuts en français à la fin du XVIe siècle. Une acception qui vieillira prématurément, puisqu’elle est déjà considérée comme inusitée au XVIIIe siècle. L’acception moderne de inoculation, ‘introduction dans l’organisme d’un germe vivant’, figure pour la première fois en 1723 dans la Lettre sur l’inoculation de la petite vérole de Jean de La Coste, qui décrit cette pratique anglaise. Le verbe inoculer y fait également sa première apparition. De fait, le nom et le verbe constituent respectivement des emprunts aux mots anglais inoculation et inoculate, dont le sens médical (1666) avait été tiré du sens horticole.
Étonnamment, les termes inoculer et innocuité ne sont pas apparentés. En effet, inoculer a été formé par l’ajout du préfixe in- ‘dans’ au radical latin oculus alors que innocuité provient de innocuus ‘inoffensif’. Cependant à cause de leur proximité phonétique, ainsi que sémantique, l’inoculation visant l’innocuité d’un agent infectieux, on a parfois tendance à écrire erronément innoculer (ou innoculation).