Anthonymes
Pour célébrer le printemps et la fête des Mères, nous proposons ici trois anthonymes. Que le lecteur ne se méprenne pas : il n’y a pas de faute d’orthographe dans le mot. On ne parlera pas de mots opposés (antonymes), mais plutôt de trois noms de fleurs d’origine grecque, d’où ce néologisme ad hoc, formé des racines grecques antho- ‘fleur’ et -onyme ‘nom’. Ces fleurs sont toutes liées à la mythologie grecque et, qui plus est, les deux dernières sont liées au même dieu grec, Asclépios.
anémone
L’anémone est considérée comme la « fleur du vent ». Ce surnom proviendrait de la paronymie en grec ancien de anemōnē ‘anémone’ et anemos ‘vent’ (comme dans anémomètre). La mythologie se fit l’écho de cette similitude en racontant l’amour de Zéphyr, dieu du vent, pour la nymphe Anémone. Elle fut transformée en fleur par l’épouse jalouse, Chloris (ou Flore chez les Romains), déesse des fleurs. Toutefois, il faut vraisemblablement chercher dans les langues sémitiques l’origine véritable du mot. Le dieu Na ͑aman de la mythologie sémitique se révèle en effet un candidat plus probable. La variante araméenne Néemon aurait été à l’origine du mot grec. Le nom du dieu signifie littéralement « le (dieu) gracieux » et peut être considéré comme un équivalent d’Adonis, le dieu de la beauté chez les Grecs. La fleur serait née de sa blessure mortelle.
Le mot français a été emprunté au latin impérial anemone, calqué sur le grec. Il se rencontre à partir du XIVesiècle. La locution anémone de mer, désignant l’actinie, a été forgée dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle par analogie de forme avec la fleur. Il est possible que l’ondulation des tentacules de l’actinie au gré des courants, semblable à celle des pétales de la « fleur du vent », ait renforcé l’association entre les deux anémones.
pivoine
Le nom grec de la pivoine, paiōnia, est le féminin de paiōnios, signifiant ‘qui guérit’. Cet adjectif fait référence à Paian (ou Paiōn), guérisseur des dieux, qui finit par être confondu avec les deux autres dieux guérisseurs Apollon et Asclépios, ce dernier étant à l’origine du nom d’une autre plante, asclépiade. Paiōnia passe au latin impérial sous la forme paeonia. L’association entre le nom de la fleur et celui du dieu s’explique par le fait que la pivoine était utilisée chez les Grecs pour ses propriétés médicinales, surtout pour les maladies dites propres aux femmes (menstruations, fausses couches, etc.).
L’appellation française moderne de la fleur, qui apparait à la fin du XIVe siècle, provient de la variante vulgaire paevonia. Elle remplace les anciennes appellations peone, pyoine, etc. (sans v), plus conformes à la forme latine standard. Le nom scientifique de la pivoine, pæonie, et son correspondant anglais, peony, proviennent d’ailleurs de cette dernière forme.
asclépiade
L’asclépiade (qui regroupe les espèces du genre Asclepias) est une plante à grandes feuilles ovales et aux inflorescences sphériques odorantes. En latin impérial, le nom correspondant asclepias désignait cependant une autre plante, le dompte-venin officinal (Vincetoxicum hirundinaria), d’apparence vaguement similaire. Le nom latin avait été emprunté au grec asklēpias, dérivé du nom du dieu grec de la médecine Asklēpios (Asclépios en français, correspondant à Esculape chez les Romains), à cause des vertus médicinales du dompte-venin officinal. Outre ses propriétés vomitives, diurétiques et sudorifiques, on lui prêtait le pouvoir d’enrayer les effets du poison, d’où son nom actuel de dompte-venin. Ce pouvoir devait cependant être d’une efficacité discutable quand on connait la toxicité de cette plante…
Une forme française asclépias désignant cette plante ou d’autres plantes semblables est attestée à partir du XVIesiècle. En 1753, Carl von Linné choisit Asclepias comme nom de genre taxonomique pour représenter l’asclépiade. Tout comme pour le dompte-venin officinal, ce sont les vertus thérapeutiques de la plante (traitement de l’asthme, des troubles de la digestion, de la fièvre, etc.) qui lui ont valu d’être nommée d’après le dieu grec de la médecine. L’histoire ne dit pas si Linné considéra uniquement le nom du dieu ou s’il prit en compte l’appellation latine ou grecque du dompte-venin officinal. Sous l’influence du nom de genre, le nom français asclépias réfère maintenant à l’asclépiade. Au tournant du XIXe siècle, la forme française courante asclépiade apparait. Comme elle provient directement du radical fléchi Asclepiad- du nom scientifique, elle acquiert dès le début le sens de ‘asclépiade’. Son genre féminin est conforme à celui du latin.
Par ailleurs, Asclépiade désigne en versification grecque un genre de vers lyrique. Dans cette acception, il proviendrait du nom d’Asclépiade de Samos (en grec : Asklēpiadēs ho Samios), poète grec du IIIe siècle av. J.-C. Plus précisément, le mot a été tiré de l’expression metrum asclepiadeum ‘mètre d’Asclépiade’, du latin tardif, calquée sur le grec asklēpiadeion metron (IIe siècle). Le terme est utilisé à partir du milieu du XVIIIe siècle comme adjectif dans l’expression vers asclépiade. Nominalisé au XIXe siècle, il garde le genre masculin de vers.