À vos calculettes !
Pour combler nos chers élèves, tout à la joie de retrouver leurs calculettes en cette belle rentrée, nous consacrons cette histoire de mots à deux noms du domaine mathématique : algèbre et algorithme. On verra qu’ils proviennent tous deux de la culture scientifique arabe du Moyen Âge, et que, tout comme pour Auguste, devenu aout et passé d’empereur à bouffon, le temps leur a fait subir des altérations étonnantes.
algèbre
Les chiffres dits « arabes » proviennent en fait de l’Inde. Toutefois, leur introduction dans l’Europe médiévale se fit par l’entremise des Arabes. Un de leurs plus célèbres propagateurs est le mathématicien d’origine perse al-Khwārizmī, établi à Bagdad et dont le nom signifie ‘originaire de Chorasmie (région située au sud de la mer d’Aral)’. On lui doit plusieurs ouvrages mathématiques, dont deux ont légué les mots français algèbre et algorithme.
L’ouvrage à l’origine du mot algèbre, écrit vers 820, pose les fondements de l’algèbre moderne. Le mot figure d’ailleurs directement dans le titre de l’ouvrage original, aujourd’hui perdu : Al-kitāb al-mukhtaṣar fī ḥīsāb al-jabr waʾ l-muqābala (traduction littérale : « Le livre abrégé du calcul par rétablissement et comparaison »). Dans l’expression al-jabr, la particule al- signifie simplement ‘le’ alors que jabr signifie ‘rétablissement’, désignant l’opération de report des termes soustraits d’un côté de l’équation en termes additionnés de l’autre côté. Le latin médiéval, en l’adoptant sous la forme algebra, lui attribua le sens plus étendu de ‘science des nombres’. Le mot apparait en français avec le même sens à la fin du XIVe siècle. Il ne prendra son sens moderne qu’au XVIIe siècle avec le mathématicien français François Viète, en cessant d’inclure la notion d’arithmétique et en se cantonnant aux équations mathématiques et aux propriétés générales des opérations avec des variables.
algorithme
L’ouvrage à l’origine du mot algorithme, écrit vers 825 par le même al-Khwārizmī, introduit le système de position avec les chiffres arabes ainsi que le nombre zéro, bien plus pratiques que la numération romaine pour les calculs poussés. Le mot algorithme proviendrait d’une interprétation fautive du titre d’une traduction latine (XIIe siècle) de cet ouvrage, Algoritmi de numero Indorum, qui devrait se lire « [livre] d’al-Khwārizmī à propos des nombres indiens ». Le premier mot constitue, en réalité, la transcription latine d’al-Khwārizmī. Sa finale en _-i est censée marquer le cas génitif singulier des noms masculins en -us_, correspondant en français à un complément du nom, tel qu’exprimé dans la traduction.
Malheureusement, avec le temps, le nom de l’auteur aurait été oublié. De plus, comme la finale latine en _-i_est aussi une marque du pluriel et qu’un nom propre est rarement pluralisé, Algoritmi aurait été réinterprété comme un nom commun pluriel. On supposa qu’il référait au calcul puisqu’il s’agissait du sujet principal du livre. On obtint donc la nouvelle traduction erronée « Calculs à propos des nombres indiens ».
En latin, le nom d’al-Khwārizmī aurait dû être transcrit par Algorismus à l’origine, ce qui aurait abouti à algorisme en français. Mais une confusion avec le grec nous a valu notre algorithme actuel. Au Moyen Âge, en effet, le thêta grec, prononcé alors comme une fricative (comme dans three, en anglais), était parfois transcrit en latin par un s. Quelque scribe aura supposé à tort qu’algorismus était un mot grec dont la graphie originale devait être algorithmus, ce qui a « rétabli » notre algorithme. Dans le cas du mot arithmétique, par contre, le rétablissement était justifié, puisque le latin médiéval arismetica provenait effectivement du mot d’origine grecque arithmetica.