Histoires de mots - 4 mars 2019 - 2 min

Soldats embusqués

Les Romains avaient placé le mois de mars sous la protection de Mars, dieu de la guerre. Nous profitons donc de l’occasion pour attaquer trois noms évoquant chacun à leur façon les champs de bataille : achillée, bidasse et chauvin. Le premier, quoiqu’il désigne une fleur délicate, rappelle l’intrépide héros grec Achille. Les deux derniers rappellent deux autres personnages militaires, encore plus « légendaires » qu’Achille : Bidasse et Chauvin. Notre plan de bataille sera donc d’encercler ces trois mots pour débusquer la vraie nature de ces trois soldats.

achillée

L’achillée est une plante à capitules blancs et aux longues feuilles finement découpées. Son nom rappelle Achille, héros grec de la guerre de Troie. Selon la légende, le valeureux guerrier soignait les blessures de ses soldats avec des feuilles d’achillée, réputées pour leur propriété hémostatique. L’histoire ne dit pas si l’on tenta de le soigner lui-même avec cette plante lorsqu’il fut blessé mortellement (au talon, selon les versions plus tardives de la légende, d’où l’expression C’est son talon d’Achille ‘C’est son point faible’). Si c’est le cas, le remède s’est malheureusement avéré inefficace…

Le mot grec désignant ce héros était Akhilleus. Le nom de la plante fut formé à partir de la forme féminine (akhilleia) de l’adjectif correspondant, akhilleios ‘relatif à Achille’. Le naturaliste romain Pline l’adapta en latin sous la forme achillea. Le mot latin fit une courte visite en français au XIVe siècle sous la forme aquilée, puis s’installa pour de bon au XVIe siècle sous sa forme moderne. Bien qu’étymologiquement lié à Achille, le nom achillée s’en distingue phonétiquement : alors que le premier se prononce « erronément » [achil], avec un ch chuinté comme s’il s’agissait d’un mot indigène du français, le second se dit « correctement » [akilé], avec un ch dur, comme la majorité des emprunts au grec.

bidasse

Le nom commun bidasse provient de la chanson Avec Bidasse, popularisée lors de la Première Guerre mondiale, racontant les espiègleries de deux soldats en permission, dont Bidasse, originaires d’Arras (chef-lieu du département de Pas-de-Calais, en Picardie). La chanson a été commandée en 1913 par le comique troupier Charles-Joseph Pasquier, alias Bach, au parolier Louis Bousquet et au compositeur Henry Mailfait. Malgré l’origine nordiste des protagonistes, Bousquet se serait inspiré de la lettre truffée d’occitanismes d’un ami soldat originaire, comme lui, du département du Gard, pour forger le nom du fameux camarade. Ainsi, Bidasse serait l’adaptation du nom occitan vidassa ‘vie pénible’ (prononcé avec un b initial), dérivé du nom vida ‘vie’ par l’ajout du suffixe péjoratif -⁠asso (-⁠assa au féminin). Le nom propre rappellerait donc subliminalement la vie pénible des soldats…

chauvin

Né à Rochefort (Charente-Maritime), Nicolas Chauvin était un vétéran des guerres napoléoniennes exalté pour son dévouement et son patriotisme. Léger détail, toutefois : il n’a jamais existé ! Bien que Chauvin (diminutif de chauve) soit un patronyme courant à Rochefort, le Nicolas Chauvin en question est un personnage imaginaire qui a alimenté, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, la chanson et le théâtre. On le trouve par exemple dans le Soldat laboureur d’Eugène Scribe (1821) et la Cocarde tricolore d’Hippolyte et Théodore Cogniard (1831). Dans cette dernière œuvre, la valeur de nom propre de Chauvin, et même la distinction entre nom et adjectif, semble déjà s’atténuer dans une chanson qu’on y trouve :

Une deux... par’-moi c’te feinte ; Si j’t’attrap’, je t’éreinte ; J’suis Français, j’suis Chauvin, J’tap’ sur le Bédouin.

La valeur positive originale de ‘(soldat) valeureux’ glissera rapidement, par la suite, vers celle de ‘(personne) au patriotisme exagéré’, puis, à la fin du XIXe siècle, vers la valeur négative moderne de ‘(personne) qui dénigre les autres pays’. Par exemple, on trouve dans ce sens le mot en emploi adjectival dans cet extrait d’une série d’articles (les Preuves) que Jean Jaurès a publiés dans le journal républicain la Petite République sur l’affaire Dreyfus (1898) :

Si l’esprit chauvin l’exige, je laisse de côté M. Franck […], parce qu’il est Belge. Je laisse de côté aussi M. Paul Moriaud […], parce qu’il est Suisse.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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