Quelques -onymes méconnus

Est-ce qu’un hot-dog est un sandwich ? Cette question à l’apparence anodine a la réputation de soulever les passions chez celles et ceux qui cherchent à organiser clairement le lexique de leur langue. Sans que cette question en particulier soit nécessairement d’un grand intérêt pour les lexicologues, la compréhension des relations de sens entre les mots, ici hot-dog et sandwich, est une facette essentielle de l’étude du langage.
La synonymie est généralement la relation de sens la mieux comprise entre les mots. D’autres relations sémantiques moins connues, comme l’hyponymie et l’hyperonymie, la méronymie et l’holonymie, appartiennent plutôt au domaine spécialisé de la linguistique, en raison de leurs applications surtout théoriques. Cela dit, ces relations existent implicitement dans notre façon de comprendre et d’utiliser la langue, et se familiariser avec ces concepts peut s’avérer être un excellent outil pour démêler certaines questions de langue.
Le générique et le spécifique
Il existe un outil pour dévisser une vis. Cet outil est le tournevis. Outil est un mot générique qui peut désigner un tournevis, mais aussi un marteau, une pince, une scie, etc. Il s’agit d’un hyperonyme de chacun de ces termes. Tournevis désigne une réalité beaucoup plus précise, soit spécifiquement l’outil qui dévisse des vis. C’est donc un hyponyme d’outil. Cette relation est évidente en admettant que tous les tournevis sont des outils, mais que tous les outils ne sont pas des tournevis.
Un mot peut être hyperonyme de l’un tout en étant l’hyponyme de l’autre. Siège est l’hyperonyme de fauteuil tout en étant l’hyponyme de meuble. La hiérarchie ainsi établie fait par ailleurs de meuble un hyperonyme indirect de fauteuil. Il est de surcroit possible de trouver des hyperonymes à meuble et de remonter ainsi la hiérarchie jusqu’à aboutir à un pantonyme — à ne pas confondre avec le paronyme pantomime — un mot très vague (truc, machin, chose, etc.) qui donne peu d’information sur son référent.
On dit de plusieurs mots qui partagent un hyperonyme qu’ils sont des cohyponymes. Tournevis, marteau et pince sont donc des cohyponymes d’outil. On rencontre également les termes isonymes (cohyponymes de même rang dans un classement hiérarchisé) et hétéronymes (cohyponymes étroitement liés par le sens, comme frère et sœur). En pratique, cohyponyme, isonyme et hétéronyme sont souvent employés de manière interchangeable, sans nuance de sens.
L’une des utilisations concrètes de ce type de hiérarchisation sémantique se trouve dans les grandes classifications scientifiques du monde animal et végétal. Les espèces appartiennent à des genres, qui appartiennent à des familles, qui appartiennent à des ordres, et ainsi de suite jusqu’au plus haut niveau taxinomique. Quelques rangs de la classification du chien :
(plus générique) → animal → mammifère → canidé → chien → (plus spécifique)
Dans cette hiérarchie, chaque terme est hyponyme de tous ceux de gauche et hyperonyme de tous ceux de droite. Tous les noms de races de chiens se situeraient complètement à droite et seraient cohyponymes de tous ces termes.
Quelques mises au point
La relation de sens entre les mots dépend bien souvent du contexte dans lequel on les utilise. Un mot polysémique réfère à plusieurs réalités, lesquelles sont chacune en relation avec des réalités plus génériques et plus spécifiques.
Le référent peut entre autres varier selon qu’on emploie un terme dans la vie de tous les jours ou en contexte spécialisé. Le nom chameau, par exemple, désigne en français toutes les espèces du genre Camelus, lequel comprend le chameau de Bactriane (Camelus bactrianus), à deux bosses, et le dromadaire (Camelus dromedarius), aussi appelé chameau d’Arabie ou chameau à une bosse. Or, il est courant d’appeler simplement chameau le chameau de Bactriane, qu’on distingue alors du dromadaire par le nombre de bosses sur son dos.
Ainsi, lorsque chameau réfère au genre Camelus, il est un hyperonyme de dromadaire et de chameau de Bactriane. S’il désigne spécifiquement le chameau de Bactriane, en opposition au dromadaire, ces deux termes sont plutôt cohyponymes et la distinction en fonction du nombre de bosses est justifiée. En langue spécialisée, où l’on est bien conscient de cette ambigüité, on indiquera clairement à quoi réfère le mot chameau en contexte.
Un autre contentieux langagier concerne la tomate : on nous rappelle bien souvent qu’il ne s’agit pas d’un légume, mais d’un fruit. Le mot tomate a cependant à la fois pour hyperonyme fruit pour son emploi au sens scientifique, et l’hyperonyme légume dans la langue courante, lequel désigne toute plante ou partie de plante potagère destinée à la consommation par les humains. Le terme intermédiaire légumes-fruits, qui comprend les tomates, piments, concombres, etc., regroupe ces aliments aux deux natures qui portent à confusion.
Les « trous » hiérarchiques
Un terme intermédiaire comme légume-fruit vient combler un besoin de regrouper des éléments pour lesquels les génériques d’une langue sont contextuellement trop vagues ou trop ambigus. De nouveaux termes englobants vont surgir dans ces cas pour combler certaines lacunes. Un exemple récent est celui du terme appareils de transport personnel motorisés (ATPM), introduit récemment au Québec pour légiférer sur l’utilisation d’un ensemble précis de véhicules électriques sans habitacle (trottinettes, gyropodes, etc.) qui étaient jusque là nommés à la pièce. Le mot deux-roues est un autre exemple de terme qui est apparu à postériori comme hyperonyme de bicyclette, motocyclette, vélomoteur et autres noms de véhicules à deux roues.
Un autre type de « trou » lexical peut survenir lorsqu’un terme qui désignait autrefois une technologie bien spécifique devient ambigu en raison d’innovations techniques. Ainsi, avec la démocratisation du téléphone mobile, est né le besoin de renommer son homologue « immobile ». On adopte alors un rétronyme pour combler ce genre de besoin : ce qu’on appelait simplement un téléphone est devenu un téléphone fixe ou un téléphone filaire.
Certains trous n’en sont pas vraiment dans la mesure où ils perdurent dans la langue depuis des siècles sans que le besoin ne se présente de les combler. Dans un précédent Point de langue, on mentionnait qu’il n’existe pas en français de mot pour désigner à la fois les frères et les sœurs, en comparaison à l’anglais qui dispose du mot siblings.
Parfois, un mot d’emprunt au sens générique dans sa langue d’origine a un sens plus précis dans la langue cible. C’est le cas de naan et chai, qui signifient respectivement « pain » et « thé » en hindi, mais qui désignent plus spécifiquement un type de pain et une variété de thé en français. Il est courant d’utiliser ces termes en compléments juxtaposés des noms génériques pour illustrer leur spécificité. Ainsi, un pain naan est un pain (générique) de type naan (spécifique), un thé chai, un thé de type chai. Sombréro est un autre exemple de ce type. Il signifie tout simplement chapeau en espagnol, mais il désigne en français un type bien particulier de chapeau à large bord.
Le juste degré de précision
L’utilisation de termes tantôt génériques, tantôt spécifiques s’impose selon la situation de communication. L’emploi d’hyperonymes peut être une stratégie d’écriture épicène. Des mots génériques comme personne ou individu peuvent remplacer des désignations genrées à l’écrit ou à l’oral. Le recours à l’holonymie, relation sémantique mentionnée brièvement plus haut, est un procédé très similaire. Il consiste à référer à un ensemble de personnes par un nom collectif plutôt que par chacune des parties (par exemple, corps professoral plutôt que professeurs et professeures).
L’hyperonyme est sinon notamment utile pour éviter les répétitions dans un texte, à la manière d’un simple synonyme :
Une voiture a été abandonnée sur la route. Le propriétaire du véhicule n’a pas pu être identifié.
L’opposition a bombardé le ministre de questions, mais le politicien a su garder son sang froid.
Mon voisin s’est acheté un labrador. C’est un très beau chien, mais l’animal a aboyé toute la nuit.
Dans bien des circonstances, on utilise implicitement des termes suffisamment précis pour que la communication soit fluide en fonction du contexte. Une phrase comme « l’animal a aboyé toute la nuit » serait parfaitement comprise à elle seule en raison du sujet habituel du verbe aboyer. En revanche, si on souhaite parler spécifiquement d’un labrador dans un groupe de chiens, il sera nécessaire d’utiliser le terme le plus spécifique possible pour ne pas se tromper.
À la lumière de ces indications, il n’est pas déraisonnable de voir en hot-dog un hyponyme de sandwich, au petit pain allongé. En pratique, il serait étonnant de se trouver dans une situation telle que le générique sandwich serait suffisant pour se faire comprendre sans le moindre imbroglio !
