Questions multiples sur multi-
Le préfixe multi-, qui nous vient du latin et qui signifie « nombreux », entre dans la composition de multiples mots français : des adjectifs (multicolore, multibrin), des noms (multipartisme, multimillionnaire), des verbes (multidiffuser). On hésite parfois sur la façon d’écrire ou d’accorder ces mots. Voici les questions les plus fréquentes à leur sujet.
Trait d’union ou soudure ?
Ce préfixe latin, qui n’est pas un mot autonome en français, doit être soudé (« collé ») à ce qui suit, comme dans les exemples mentionnés ci-dessus. Ce principe est généralement bien suivi avec les mots installés depuis longtemps dans le lexique, tel l’adjectif multicolore.
En revanche, il y a certains cas où l’on constate que l’usage est plus fluctuant. Par exemple, si le mot est d’usage relativement récent ou que l’élément qui suit le préfixe est un nom qui existe par ailleurs de façon autonome, on peut être tenté d’insérer un trait d’union pour bien délimiter les parties du mot et faciliter sa compréhension. Mais il ne faut pas hésiter à souder :
Une architecture multicouche plutôt que multi-couche.
Un système multiprocesseur plutôt que multi-processeur.
Un jeu vidéo multijoueur plutôt que multi-joueur.
L’usage est particulièrement flottant quand le préfixe multi- est suivi d’une voyelle, notamment la voyelle i. Là encore, nous recommandons d’appliquer le principe général et de souder le préfixe :
Un quartier multiethnique plutôt que multi-ethnique.
Un système multiutilisateur plutôt que multi-utilisateur.
Un multiinstrumentiste doué plutôt que multi-instrumentiste.
Il est vrai qu’avec des préfixes se terminant par la voyelle a ou o, suivie de la voyelle u ou i, on utilise parfois un trait d’union pour indiquer que la suite de voyelles se prononce de façon disjointe (intra-utérin, auto-immun) et non pas de façon conjointe (comme dans haut et toi). Un tel trait d’union est inutile avec notre préfixe multi-, car une suite de voyelles commençant par i ne présente pas d’ambigüité de prononciation.
Un appareil multifonction ou multifonctions ?
Puisque le préfixe multi- renferme une valeur de pluralité, on peut avoir le réflexe compréhensible d’ajouter la marque du pluriel à la fin d’un mot commençant par ce préfixe même quand on l’emploie au singulier. Par exemple, on peut être tenté d’écrire un appareil multifonctions, avec un s, puisque cet appareil offre plusieurs fonctions. Ce réflexe concerne surtout les mots dont le deuxième élément, comme fonction, existe par ailleurs comme nom français autonome. Toutefois, pour les mots de ce type, la tendance générale des dictionnaires et ouvrages de référence récents est de donner le singulier sans marque du pluriel et le pluriel avec la marque du pluriel :
Un appareil multifonction, des appareils multifonctions.
Un revêtement multicouche, des revêtements multicouches.
Une version multiposte, des versions multipostes.
Certains dictionnaires, dont celui de l’Académie française, appliquent systématiquement ce principe, qui est conforme à la règle générale de formation du singulier et du pluriel en français. D’autres dictionnaires, tout en respectant très généralement ce principe, recensent un petit nombre de cas pour lesquels ils permettent — ou même exceptionnellement exigent — un s final au singulier. Ces exceptions peuvent s’expliquer par l’observation de l’usage réel ; pour certains mots, la forme avec un s au singulier semble en effet nettement plus employée que la forme sans s :
Un moteur multisoupapes.
Un pain multicéréales.
La fréquence de ces formes dans l’usage peut justifier qu’elles soient prises en compte par certains dictionnaires, mais nous recommandons de privilégier les formes qui respectent le principe général, c’est-à-dire, si l’on reprend les mêmes exemples :
Un moteur multisoupape, des moteurs multisoupapes.
Un pain multicéréale, des pains multicéréales.
Dans le cas de l’adjectif multifonction, si l’on veut éviter de choisir entre un appareil multifonction et un appareil multifonctions, une solution pourrait être de choisir un synonyme : un appareil multifonctionnel. Ici, l’élément fonctionnel, qui suit le préfixe, existe par ailleurs de façon autonome en français comme adjectif. Dans les cas de ce type (multi- + adjectif), l’usage est bien établi de ne pas ajouter de s au singulier. Ci-dessous, les exemples précédés d’un astérisque sont clairement fautifs :
Un appareil multifonctionnel.
*Un appareil multifonctionnels.Un État multinational.
*Un État multinationaux.
Les adjectifs en multi- peuvent-ils varier en genre ?
Ce que l’on vient de dire sur la variabilité en nombre ne vaut pas toujours pour la variabilité en genre. S’il est vrai que l’adjectif multifonctionnel possède une forme féminine multifonctionnelle, sur le modèle de l’adjectif fonctionnel, l’adjectif multifonction, quant à lui, est invariable en genre :
Un appareil multifonctionnel, une machine multifonctionnelle.
Un appareil multifonction, une machine multifonction.
Cette invariabilité en genre vaut pour tous les mots en multi- dont le deuxième élément existe aussi comme nom français autonome. Dans chaque paire d’exemples ci-dessous, la deuxième forme, à la terminaison abusivement féminisée, est incorrecte :
Une machine multifonction.
*Une machine multifonctionne.Une distribution multicanal.
*Une distribution multicanale.Une option multijoueur.
*Une option multijoueuse.
Les éléments fonction, canal et joueur existent aussi comme noms français autonomes ; ils ne prennent pas de marque du féminin dans ces emplois. Les deux premiers, fonction et canal, sont d’ailleurs des noms au genre unique, respectivement féminin et masculin, donc invariables en genre. Quant au nom joueur, il possède bien une forme féminine joueuse, mais dans l’adjectif multijoueur l’élément joueur possède une valeur neutre générique qui s’exprime par la forme masculine.
De la même façon, dans chaque trio d’exemples ci-dessous, le deuxième est un intrus à l’accoutrement masculin inapproprié :
Une baguette multicéréale.
*Un pain multicéréal.
Un pain multicéréale.Une pince multiprise.
*Un bloc multipris.
Un bloc multiprise.
Les éléments céréale et prise existent aussi comme noms français autonomes, du genre féminin. Ce n’est pas parce que les noms pain et bloc sont masculins qu’il faut masculiniser la terminaison de leurs adjectifs respectifs multicéréale et multiprise. Ces adjectifs sont dits épicènes, c’est-à-dire qu’ils gardent la même forme au masculin et au féminin.
Peut-on étendre ces principes à d’autres préfixes ?
On peut appliquer les mêmes principes avec d’autres préfixes latins ou grecs qui revêtent une valeur de pluralité, comme le préfixe latin pluri- ou le préfixe grec poly-, de même que les préfixes faisant référence à un nombre, comme bi- (« deux »), tri- (« trois »), quadri- (« quatre »), et ainsi de suite.
Un végétal pluripétale, des végétaux pluripétales.
Une fixation polybloc, des fixations polyblocs.
Un kayak biplace, des kayaks biplaces.
Une charrue trisoc, des charrues trisocs.
Un avion quadrimoteur, des avions quadrimoteurs.
Les adjectifs ci-dessus signifient respectivement « à plusieurs pétales », « à plusieurs blocs », « à deux places », « à trois socs » et « à quatre moteurs ». Leur graphie respecte les principes que nous avons rappelés : le préfixe est soudé à ce qui suit ; le singulier s’écrit sans marque du pluriel et le pluriel avec la marque du pluriel ; l’adjectif est épicène (formes masculines et féminines identiques), puisque son élément final existe aussi comme nom français autonome.
Concluons en mentionnant que ces recommandations concordent avec celles des rectifications de l’orthographe.