Que choisir entre le pis et le pire ?
Même s’il y a pire dans la vie, savoir distinguer le pis du pire n’est pas chose aisée. Les mots pis et pire viennent tous deux du latin pejor (« plus mauvais ») et possèdent essentiellement le même sens, mais ils ne sont pas interchangeables ou utilisables dans tous les contextes. Voici comment les rôles de ces deux frères sont distribués en français moderne.
Adverbe
Comme adverbe signifiant « plus mal », pis est la seule des deux formes à pouvoir être utilisée. Mais cet emploi tend à vieillir et ne survit plus guère que dans un style soutenu ou littéraire. Dans un registre neutre, le français courant préfère utiliser plus mal.
Comme comparatif :
Il chante plus mal que son frère. (courant)
Il chante pis que son frère. (vieilli ou soutenu)
*Il chante pire que son frère. (fautif)
Comme superlatif :
C’est lui qui chante le plus mal. (courant)
C’est lui qui chante le pis. (vieilli ou soutenu)
*C’est lui qui chante le pire. (fautif)
Adjectif
Comme adjectif signifiant « plus mauvais », c’est pire qui est généralement employé. C’est même la seule des deux formes à être autorisée dans la fonction épithète.
Comme comparatif :
Je ne connais pas de plus mauvais chanteur que lui. (courant)
Je ne connais pas de pire chanteur que lui. (courant)
*Je ne connais pas de pis chanteur que lui. (fautif)
Comme superlatif :
Le plus mauvais chanteur sera disqualifié. (courant)
Le pire chanteur sera disqualifié. (courant)
*Le pis chanteur sera disqualifié. (fautif)
Dans la fonction attribut, l’adjectif pis se rencontre encore dans un style soutenu :
Ce chanteur est plus mauvais que le précédent. (courant)
Ce chanteur est pire que le précédent. (courant)
Ce chanteur est pis que le précédent. (vieilli ou soutenu)
À noter qu’il faut éviter d’employer « plus mauvais » lorsque le nom qualifié comporte en lui-même l’idée de mal (malheur, souffrance, douleur, etc.) :
*La plus mauvaise douleur est de l’écouter chanter. (fautif)
La pire douleur est de l’écouter chanter. (courant)
*La pis douleur est de l’écouter chanter. (fautif)
Nom
Comme nom signifiant « la plus mauvaise chose ou personne », l’une ou l’autre des deux formes peut être employée. Encore une fois, pis ne se rencontre plus guère plus que dans un style soutenu :
J’ai enduré le pire en l’écoutant chanter. (courant)
J’ai enduré le pis en l’écoutant chanter. (vieilli ou soutenu)
Quelques locutions figées avec pis
La forme pis garde sa vigueur et reste de rigueur dans un petit nombre de locutions figées consacrées par l’usage :
tant pis : c’est dommage
de mal en pis (ou de pis en pis) : de plus en plus mal
au pis aller : dans l’hypothèse la plus défavorable
un pis-aller : une solution de remplacement
qui pis est : ce qui est encore plus désagréable
dire pis que pendre de quelqu’un : dire le plus grand mal de quelqu’un
Dans ces locutions toutes faites, il n’est pas permis de remplacer pis par pire. On se gardera en particulier de dire *au pire aller ou *un pire-aller.
Le plus pire pléonasme
Comme les mots pis et pire contiennent en eux-mêmes l’idée de « plus » (« plus mal », « plus mauvais »), on évitera d’utiliser une expression redondante comme *plus pire ou *plus pis. Pour exprimer un plus haut degré, on dira plutôt bien pire, encore pire, deux fois pire, cent fois pire, etc.
De même, les deux adverbes comparatifs moins et aussi sont incompatibles avec pire et pis. Ainsi, au lieu de *moins pire ou *aussi pire, on dira par exemple moins mauvais ou aussi mauvais.
Pire ou pas pire, c’est la question
En français québécois, la locution familière pas pire se rencontre souvent au lieu de pas mal. Ces deux expressions sont des litotes signifiant « assez bien ». Remarquons aussi, au passage, que le français québécois, surtout à l’oral, fait grand usage d’un mot pis, mais il s’agit là d’une conjonction, déformation de puis, utilisée familièrement au sens de « et » : mon père pis ma mère.
Conclusion
En français courant, pis a tendance à s’effacer devant pire, plus mal ou plus mauvais, selon le contexte. Son usage actuel se maintient essentiellement dans un petit nombre de locutions figées. Tant pis !