Petit panthéon de la science
Un utilisateur nous écrit :
Hertz : l’unité de fréquence ne s’écrit-elle pas classiquement avec une majuscule ?
Les noms des unités de mesure du Système international (SI), qu’ils dérivent de noms communs ou de noms propres, prennent une minuscule : on écrit donc bien hertz, avec minuscule initiale, même si le mot vient du nom du savant allemand Heinrich Hertz.
Ce qui peut contribuer à l’hésitation sur ce point, c’est le fait que les symboles des unités issues de noms propres s’écrivent quant à eux avec une majuscule initiale. Ainsi, le symbole du hertz est Hz. La majuscule est conservée même lorsqu’on lui antépose un symbole de préfixe multiplicateur, comme dans kHz, symbole du kilohertz, ou MHz, symbole du mégahertz.
Le tableau qui suit présente en ordre alphabétique les unités du SI nommées d’après des personnalités scientifiques. On se réfèrera au dictionnaire d’Antidote pour les définitions de tout ce beau monde.
Nom du savant | Unité du SI | Symbole | |
---|---|---|---|
André Marie Ampère | ampère | A | |
Henri Becquerel | becquerel | Bq | |
Charles de Coulomb | coulomb | C | |
Anders Celsius | degré Celsius | °C | |
Michael Faraday | farad | F | |
Louis Harold Gray | gray | Gy | |
Joseph Henry | henry | H | |
Heinrich Hertz | hertz | Hz | |
James Prescott Joule | joule | J | |
William Thomson, lord Kelvin | kelvin | K | |
Isaac Newton | newton | N | |
Georg Simon Ohm | ohm | Ω | |
Blaise Pascal | pascal | P | |
Werner von Siemens | siemens | S | |
Rolf Maximilian Sievert | sievert | Sv | |
Nikola Tesla | tesla | T | |
Alessandro, comte Volta | volt | V | |
James Watt | watt | W | |
Wilhelm Eduard Weber | wéber | Wb |
L’adoption de la majuscule initiale pour les symboles découle en partie du souci d’éviter la confusion avec des symboles existants d’unités, de préfixes ou de variables. Cela permet par exemple de différencier les symboles du siemens (S) et de la seconde (s). La systématisation de la majuscule à tous les symboles d’origine patronymique fournit un critère de majusculisation simple à appliquer.
Certains symboles sont formés de deux lettres plutôt qu’une, pour une raison qu’on devine : le nombre de lettres de l’alphabet étant limité, on ajoute une deuxième lettre, minuscule, pour distinguer certains symboles qui seraient autrement identiques. On peut ainsi différencier les symboles du hertz (Hz) et du henry (H), ou encore ceux du weber (Wb) et du watt (W).
Dans le cas de l’ohm, au lieu du symbole attendu O, dont la ressemblance avec le chiffre 0 pourrait être source de confusion, le SI a préféré garder comme symbole la lettre grecque oméga majuscule (Ω). Mentionnons au passage une curiosité : l’unité mathématiquement inverse de l’ohm est le siemens (1 S = 1/Ω), mais elle est parfois encore désignée par le nom mho, formé par inversion du nom ohm et symbolisé par un oméga culbuté (℧).
L’unité degré Celsius est la seule locution du tableau. Le nom Celsius y garde la majuscule, car il se trouve placé en apposition du nom d’unité degré. Autrefois, on écrivait de la même façon degré Kelvin et °K, mais le nom de l’unité et le symbole ont été respectivement remplacés en 1967 par kelvin et K.
Signalons dans la liste deux patronymes ayant subi une apocope (troncation en fin de mot) lors de leur métamorphose en noms communs : Volta → volt ; Faraday → farad.
En ce 1er avril, la tentation est grande d’inclure dans le tableau Claude Émile Jean-Baptiste Litre, savant fictif que nous avons déjà croisé dans le Point de langue consacré au symbole du litre.
Orthographe
Pour la clarté du propos, nous avons donné dans le tableau les graphies traditionnelles des deux unités weber et siemens. Ces mots sont touchés par les rectifications orthographiques. Pour le premier, la nouvelle orthographe recommande la graphie wéber, plus conforme à la prononciation française. Quant au mot siemens, qui se prononce de façon variable en notre langue ([simèns], [sjémês], [zimèns], transcriptions phonétiques en alphabet phonétique français), on a le choix entre les graphies siemens et siémens, en fonction de la prononciation préférée.
Pluriel
S’il est vrai qu’en français, les patronymes sont généralement invariables (les Pascal père et fils), les noms d’unités qui en sont issus prennent régulièrement la marque du pluriel : un pascal, deux pascals, et non pas deux *pascal, encore moins deux *pascaux !
Dans le cas du hertz, conformément à la règle générale pour les noms communs français se terminant par la lettre z, on n’ajoute pas de s au pluriel : un hertz, deux hertz.
Quant aux symboles, ils sont invariables : 1 Pa, 2 Pa, 1 Hz, 2 Hz.
Genre
Tous ces noms d’unités sont masculins : un ampère, un joule, un tesla, etc. Attention notamment au genre du nom joule, assez souvent malmené : on ne dit pas *une joule, mais bien un joule.
Le masculin vaut aussi pour le curie, une ancienne unité de radioactivité qui honore le couple de savants Pierre et Marie Curie. Il existe bien en français un nom féminin curie, mais ce mot homographe d’origine latine, qui désigne notamment le Sénat de la Rome antique, n’a aucun rapport avec la métrologie (science des mesures).
Autres unités
Le tableau se limite aux unités faisant partie du SI, mais les règles énoncées valent en français pour de nombreuses autres unités, que ce soit celles de systèmes métrologiques désuets, comme le gauss (G) et le maxwell (Mx), ou encore celles de domaines non couverts par le SI, comme le shannon (Sh) et le hartley (Hart), unités utilisées en science de l’information.
Ce procédé de formation de noms d’unités par antonomase est productif et a parfois inspiré des créations humoristiques. Ainsi les collègues du célèbre physicien quantique Paul Dirac ont-ils imaginé l’unité dirac, qui mesure non pas quelque grandeur physique fondamentale, mais plutôt le débit verbal : un dirac correspond à un débit d’un mot par heure, allusion au caractère notoirement taciturne du grand homme. Plus récemment, l’écrivain américain Cullen Murphy a proposé le warhol, unité équivalant à 15 minutes de célébrité, en référence au fameux quart d’heure de gloire promis à tout le monde par l’artiste Andy Warhol. Si on restreint cette définition à la gloire posthume, c’est justement en la présente année 2015 que le « pape du pop art » dépassera le cap du mégawarhol. Le calcul du moment précis (la quête du MWa ?) est laissé en exercice au lecteur.