Pelures d’ognon
Le printemps est à nos portes, signal de la mise en terre des bulbes d’ognons. Ce légume, malgré ses effets larmoyants lorsqu’on le coupe, est prisé pour sa saveur relevée et ses bienfaits pour la santé. Loin de vous faire pleurer, l’histoire du mot qui le désigne vous réjouira quand, en soulevant la pelure, vous saurez enfin pourquoi on l’a longtemps écrit oignon tout en le prononçant [o-gnon]. Nous complèterons notre tour du jardin par oigne, un dérivé de oignon, et par un autre légume apparenté qui, autrefois, partageait avec oignon la composante -oign- : échalote.
ognon
Le mot ognon est issu du latin impérial unio ‘ognon dépourvu de caïeux’, qui concurrençait le mot général caepa ‘ognon’ (à l’origine de ciboulette). Cet unio est probablement le même que celui qui est à l’origine du mot français union, qui descend du mot unus ‘un’. Cette étymologie s’expliquerait par le bulbe unique de l’ognon dépourvu de caïeux. On relève quelques sens inspirés de la forme ou de la structure concentrique de l’ognon. Le sens ‘durillon au pied’ est attesté depuis le début du XVIIe siècle alors que les sens ‘montre’ et ‘anus’ datent du XIXe siècle. Les sens ‘anus’ et ‘pied’ se retrouvent d’ailleurs dans la forme tronquée oigne.
Conformément aux anciennes conventions graphiques, le i dans la séquence -ign- de la graphie traditionnelle oignon indiquait que le gn devait être prononcé mouillé, soit [gn] (comme dans peigne) au lieu d’être prononcé [n], ce qui était le cas des mots empruntés directement au latin comme régner (qui se prononçait [réné], le g étant muet). La graphie oignon est la seule qui respecte encore cette convention. Le i dans les autres, tels que moignon et poignée, a été considéré à tort comme le second élément du digramme oi, aboutissant à la prononciation moderne [mwa-gnon] et [pwa-gné]. Les prononciations « historiquement correctes » [mo-gnon] et [po-gné] sont demeurées néanmoins courantes dans la langue familière du Québec. Dans d’autres cas, c’est la graphie qui a été adaptée à la prononciation. Ainsi, les anciens roignon et besoigne s’écrivent maintenant rognon et besogne. Les rectifications orthographiques vont dans le même sens en adoptant la graphie ognon pour conformer le mot aux règles orthographiques actuelles.
L’expression se mettre en rang d’ognons, attestée à partir du début du XVIIe siècle, signifiait à l’origine ‘assister à une réunion sans invitation’. On peut la faire remonter à la façon d’avantager les bottes d’ognons destinées à la vente en plaçant les plus gros ognons à l’extérieur ; par association, les plus gros représentaient les personnes importantes (à comparer avec grosses légumes), à côté desquelles on paraissait peu important, voire intrus. On raconte aussi que ce serait plutôt le baron d’Oignon (Artus de La Fontaine Solaro), maitre des cérémonies royal, qui en serait l’inspirateur, puisqu’il prenait soin de respecter la préséance des députés en leur assignant une place. En tout cas, l’expression a été réinterprétée avec son sens moderne de ‘se placer en une seule rangée’ au cours du même siècle en référence à la façon rectiligne dont sont plantés les ognons dans un potager.
L’expression soigner ou traiter quelqu’un aux petits ognons évoque les petits ognons qui composent un mets raffiné, donc apprêté avec soin. Enfin, les expressions s’occuper de ses ognons, Mêlez-vous de vos ognons et C’est pas tes ognons ! font référence au sens ‘anus’ de ognon, offrant ainsi un parallèle à l’expression Occupe-toi de tes fesses !
oigne
Le mot argotique oigne résulte de la troncation au tournant du XXe siècle du nom ognon (ou oignon en graphie traditionnelle), pris dans ses anciens sens argotiques de ‘anus’ et de ‘pied’. La prononciation de ce mot était à l’origine [o-gn], conformément à celle de son parent oignon. Mais depuis que le lien avec ognon a été perdu et qu’il est disparu de l’argot courant, on le prononce selon les règles phonétiques modernes, soit [wa-gn].
échalote
En latin impérial, l’échalote (Allium ascalonicum) était désignée par l’appellation ascalonia (cepa), soit ‘(ognon) d’Ascalon’. Cette ville de Palestine (Ašqelōn en hébreu), qui n’était pourtant pas réputée pour la culture des échalotes, constituait par contre un port majeur dans l’Antiquité. Nombre de produits orientaux à destination de Rome devaient donc y transiter, dont les échalotes.
Le mot latin ascalonia a évolué en escalonia en latin populaire pour aboutir en ancien français à plusieurs variantes, telles que eschaloigne ou escaluigne (variante normanno-picarde, à l’origine de l’anglais scallion ‘ciboule’). Au tournant du XVIe siècle, la finale -oigne est remplacée par le suffixe diminutif -ot au féminin (-ote). Bien que les dictionnaires courants des XVIIIe et XIXe siècles ne répertorient généralement que la graphie en -ote, on note à cette époque la présence d’une graphie en -otte. Celle-ci est abandonnée une fois pour toutes au XXe siècle.
Au Québec, le terme échalote, concurremment à ognon vert (calqué sur l’anglais green onion), désigne plutôt l’ognon immature (Allium cepa) ou bien la ciboule (Allium fistulosum). L’échalote véritable y est appelée échalote française.