Nature divine
Après son long engourdissement, la nature se prépare à son éveil. Flore et faune émergent de leur torpeur et on verra bientôt les animaux gambader parmi les fleurs, les arbres et les tendres céréales. Il y a quelque chose de divin dans cet émoi printanier. Non seulement dans ce jaillissement de la vie, mais dans le nom même des catégories d’êtres vivants faune, flore et céréale. Explorons donc la nature de ces mots issus de la mythologie romaine.
faune
Le nom faune fait référence à une divinité, tout comme flore. Dans le cas de faune, il s’agit de Faunus, dieu romain des troupeaux et de la fertilité, à l’apparence mi-homme mi-chèvre. Il était assimilé au dieu Pan des Grecs. On le célébrait du 13 au 15 février à l’occasion des Lupercales, fête de Lupercus, le dieu-loup (lupus, en latin), nom sous lequel il était aussi connu. Lors de cette fête, on sacrifiait une chèvre, dont la peau était découpée en lanières. Puis, on courait en fouettant les femmes avec ces lanières pour les rendre fécondes. L’historien anglais William Warde Fowler a suggéré à la fin du XIXe siècle que Faunus et un autre dieu, Favonius, représenteraient en fait le même dieu. Si tel était le cas, les mots flore et faune présenteraient un point commun supplémentaire, puisque Favonius est l’époux de Flora (à l’origine de flore).
En français, on utilise le nom latin Faunus pour désigner la divinité masculine considérée unique. On utilise depuis le XIVe siècle le nom francisé masculin faune pour désigner un des divers génies champêtres appelés Fauni en latin (pluriel de Faunus). Cet emploi masculin se prolongera au XIXe siècle avec le sens de ‘satyre’. Le nom commun féminin faune a, quant à lui, été emprunté à la fin du XVIIIe siècle au latin scientifique fauna, désignant un catalogue de description des animaux d’une région. Forme féminine de Faunus, fauna a été employé en 1746 par Linné dans sa Fauna suecica « Faune suédoise ». Il est possible que fauna tire plutôt son origine de Fauna, nom de la sœur, épouse ou fille de Faunus, selon les versions. Parallèlement à flore, faune adopte d’abord le sens ‘catalogue de description des animaux d’une région’ du latin scientifique. Au XIXe siècle apparait le sens ‘ensemble des animaux d’une région particulière’ (faune européenne). Enfin, au XXe siècle est formé le sens figuré ‘ensemble de gens aux mœurs caractéristiques fréquentant un même lieu’ (faune d’un bar, d’un quartier).
flore
De nombreux représentants de la flore sont liés à la mythologie grecque ou romaine. Les noms narcisse, pivoine, asclépiade et anémone en sont des exemples. En fait, le nom flore, à l’instar de son pendant animal faune, réfère lui-même à une divinité. Flore (Flora, en latin) était en effet la déesse romaine des fleurs, des plantes, du printemps et de la fertilité, déesse appelée Chloris chez les Grecs. On la célébrait au tournant du mois de mai à l’occasion de fêtes, appelées Floralies, pendant lesquelles on se livrait trop souvent à la débauche. Flore était l’épouse de Favonius, dieu du vent doux de l’ouest, assimilé au dieu grec Zéphyr. Le nom latin de la déesse a été dérivé du nom commun latin flos (génitif : floris) ‘fleur’, dont fleur est le descendant direct.
Le nom commun français flore fait son apparition dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il s’agit d’une adaptation du latin scientifique flora (Linné, 1745), lui-même tiré du nom de la déesse romaine Flora. Le premier sens du nom commun français correspond à celui du latin scientifique, soit ‘catalogue descriptif des plantes d’une région’. Peu après, flore prend le sens de ‘ensemble des plantes d’une région particulière’ (flore française, québécoise). Par analogie, le sens ‘ensemble des microorganismes d’un milieu donné’ (flore bactérienne, intestinale) émerge à la fin du XIXe siècle.
céréale
Cérès (en latin, Ceres) personnifiait chez les Romains l’agriculture, les moissons et la fertilité. Son pendant grec était la déesse Déméter. Les Romains avaient adopté des Grecs la coutume de la célébrer (du 12 au 19 avril) lors de la fête des Céréales (en latin, Cerealia). Celle-ci commémorait l’enlèvement par le dieu des Enfers, Pluton, de la fille de Cérès, Proserpine. Pour souligner la peine de la déesse, on portait des vêtements blancs et on s’abstenait de manger, de boire du vin et de s’adonner aux plaisirs charnels. Le latin classique possédait également un nom commun ceres, lié au précédent, signifiant ‘moisson’, ‘céréales’ ou ‘pain’. L’adjectif correspondant, cerealis, s’appliquait à la fois au nom propre et au nom commun : ‘relatif à la déesse Cérès’ et ‘relatif aux céréales’.
L’adjectif cerealis a été adapté en français sous la forme céréale, d’abord au XVIe siècle dans le sens de ‘relatif à la déesse Cérès’. La première attestation du substantif date du début du XVIIIe siècle dans le sens de ‘fêtes célébrant la déesse Cérès’ (les céréales). On se rapproche du sens moderne à la fin du même siècle, lorsque l’adjectif céréale se rapporte pour la première fois au nom commun latin ceres, avec le sens de ‘caractérisé par des grains farineux comestibles’ (plantes, graines céréales). L’emploi nominal moderne de céréale ‘plante dont les graines servent à la confection du pain’ débute au tournant du XIXe siècle, remplaçant graduellement le nom blé, autrefois son synonyme, qui se restreindra par la suite à un seul type de céréale, le froment. On le rencontre surtout au pluriel (récolte des céréales). Par métonymie, céréales s’est ensuite appliqué aux graines de ces plantes destinées à la consommation (porcs nourris aux céréales). L’anglais américain cereal, emprunté au français céréale, fournira enfin au XXe siècle l’acception ‘flocons de céréales consommés le matin’ (bol de céréales), adopté par le Québec, puis par la France.