Macabres découvertes
Avec la fête d’Halloween qui approche à pas de loup, le moment est venu de s’offrir un petit frisson en disséquant quelques mots de circonstance. On se mettra tout d’abord dans une ambiance macabre, puis on entrera dans le vif… ou le mort du sujet en parlant macchabées, qu’on enfermera finalement dans leur cercueil. Âmes sensibles s’abstenir… Mais, si ces macabres découvertes vous ont, au contraire, mis en appétit, vous pourrez poursuivre votre marche funèbre vers l’histoire de mots Des crimes innocents où vous attendent meurtres, blessures et évanouissements.
macabre
Le mot macabre a d’abord été employé dans l’expression danse macabre au XIXe siècle, altération de danse (de) Macabre. La danse macabre représentait un thème récurrent du Moyen Âge, soit une danse des morts rappelant aux vivants l’éphémérité de la vie.
Il est fort possible que le mot Macabre dans l’expression médiévale ait été un nom propre à l’origine. On rencontre pour la première fois ce nom dans le Respit de la Mort de Jean Le Fèvre de Ressons, composé en 1376 : « Je fis de Macabre la dance, qui toutes gens maine a sa tresche [ronde] et a la fosse les adresche [dirige], qui est leur derraine [dernière] maison ». L’identité du Macabre en question demeure néanmoins mystérieuse. Il pourrait s’agir soit du nom de l’auteur d’origine, dont Le Fèvre ne serait que le traducteur, soit du nom du peintre du tableau qui illustrait ce récit, soit enfin d’une altération du nom propre biblique Macchabée. À ces hypothèses s’ajoute une éventuelle influence de l’arabe maqabir ‘cimetière’, pluriel de maqbarah ‘tombe’, ou d’une autre langue sémitique. Quoi qu’il en soit, le débat reste ouvert…
L’accent aigu n’étant pas apparu avant le XVIe siècle, notre Macabre pourrait bien être en fait un Macabré. C’est clairement le cas si le mot descend des Macchabées bibliques. Mais, même si Macabre provient d’un nom propre médiéval, l’accent est aussi plausible puisque le nom de famille Macabré (avec des variantes telles que Macabrey et Macabray) existe dans l’est de la France ainsi qu’en Suisse depuis le Moyen Âge. Le e médiéval étant phonétiquement ambigu, on l’aurait erronément interprété comme représentant le son e au lieu du son é.
macchabée
Les Maccabées étaient une famille de patriotes juifs du IIe et du Ier siècle av. J.‑C. Ils se révoltèrent en 167 av. J.‑C. contre la dynastie grecque des Séleucides, qui avait interdit le judaïsme et martyrisé la population qui y était fidèle. Cette persécution est relatée dans le second livre des Maccabées de l’Ancien Testament.
Le nom hébreu de cette famille, Makabim ou Maqabim, avait été transcrit sous la forme Makkabaioi en grec. Un h est apparu étrangement dans la transcription Ma(c)chabaei du latin chrétien et s’est transmis au français. Le français contemporain s’est rapproché de la version originale grecque en l’omettant dans le nom propre, mais l’a conservé dans le nom commun.
Les premières acceptions du nom commun macchabée liées au sens actuel datent du début du XIXe siècle. Leur sens de ‘martyr’ rappelle la persécution des Juifs par les Séleucides. Au milieu du XIXe siècle est créé le sens actuel ‘cadavre’ (au départ ‘noyé’), probablement sous l’influence de macabre. L’abréviation mac(ch)ab est apparue au tournant du XXe siècle.
cercueil, sarcophage
Malgré leur dissemblance, les mots cercueil et sarcophage proviennent du même mot : le latin impérial sarcophagus ‘sarcophage’. La différence entre les deux mots français tient au fait que cercueil est d’origine populaire tandis que sarcophage est un emprunt direct à sarcophagus. Le mot latin venait du grec sarkophagos, de même sens, qui dérivait de l’adjectif homonyme signifiant ‘qui consomme de la chair’, car on croyait que les sarcophages faits de calcaire consommaient la chair des cadavres.
La filiation de cercueil avec le mot latin devient plus apparente quand on observe ses premières formes écrites datant du XIe siècle : sarcou et sarqueu. Le changement du a en e peut s’expliquer par une hypercorrection, à une époque où les è avaient tendance à s’ouvrir en a devant r. La finale en -euil serait une réfection du singulier à partir du pluriel en -eus, qui constituait la finale plurielle des mots en -euil.
Pour ajouter à l’horreur, glissons un mot sur « la » sarcophage, genre de grosse mouche pondant sur les matières en décomposition. Contrairement au sarcophage désignant le cercueil, l’acception féminine de sarcophage n’a pas été empruntée au latin impérial sarcophagus, mais à l’appellation latine scientifique sarcophaga, désignant ce genre d’insecte. Le mot latin est un emprunt direct à l’adjectif grec sarkophagos, dont le sens de ‘qui consomme de la chair’ reflète le caractère nécrophage de cet insecte. Le genre féminin de sarcophaga provient du fait qu’il constitue la forme courte de musca sarcophaga ‘mouche qui consomme de la chair’, où sarcophaga est un adjectif s’accordant avec musca, du genre féminin.
Le contenu de nos Histoires de mots est tiré des notices étymologiques du dictionnaire historique d’Antidote 8.