Histoires de mots - 4 décembre 2024 - 2 min

Locutions pour le bain

La douzième mouture du logiciel Antidote, lancée en octobre dernier, comprend toute une série d’améliorations portées au traitement des locutions comme pied de nez, cocktail Molotov, à l’insu de et en avoir plein son casque. Parmi ces améliorations, notons : un affichage simplifié, la transcription phonétique (permettant la prise en compte des locutions par le dictionnaire de rimes), des milliers de nouvelles entrées et, pour la première fois, des remarques étymologiques consacrées aux locutions d’utilisation fréquente ou d’origine mystérieuse. La chronique étymologique qui suit vous en propose deux, jeter l’éponge et jeter le bébé avec l’eau du bain. Bonne douche!

jeter l’éponge

L’expression jeter l’éponge, qui signifie ‘renoncer, abandonner la partie’, est issue du domaine de la boxe. Elle s’y trouve d’ailleurs en bonne compagnie, avec des expressions comme mettre K.-O. ‘rendre inconscient ou incapable d’agir’, monter sur le ring ‘affronter une situation périlleuse’, et le dernier round ‘dernier moment, souvent décisif, d’une série d’évènements’. Au sein de celles-ci, la contribution de l’anglais s’affiche explicitement. L’éponge dont il est question dans jeter l’éponge désigne l’instrument de choix des entraineurs de boxe qui, entre deux rondes de combat, essuient la sueur et apaisent les éventuelles blessures des pugilistes au travail. Mais que se passe-t-il si la rixe devient trop dangereuse pour la santé d’une des parties combattantes, et qu’on en vient même à craindre pour la capacité décisionnelle des boxeurs ou boxeuses à refuser la poursuite du combat? Il est alors d’usage pour l’entraineur en boxe de faire argument d’autorité et de jeter l’éponge salutaire au centre du ring. Le geste symbolique signifie : nous arrêtons le combat, nous acceptons la défaite. Veni, vidi, perdidi.

Sans surprise, jeter l’éponge représente un calque de l’expression anglaise to throw up the sponge, employée en boxe anglo-saxonne avant 1860, puis métaphoriquement au cours des décennies suivantes. L’éponge étant souvent remplacée dans l’arène par une serviette blanche, l’expression anglaise to throw ou to toss in the towel ‘jeter la serviette’ en arrive au début du XXe siècle à supplanter la précédente. L’anglicisme jeter la serviette, propre au français québécois, est d’ailleurs passablement courant.

Les premières attestations de jeter l’éponge dans la presse sportive française témoignent du potentiel métaphorique, vite perçu, de l’expression. Dans un récapitulatif de match paru en 1923 dans les Annales politiques et littéraires, on peut lire : « L’astucieux personnage n’ayant pas eu besoin, pour son poulain, de jeter l’éponge espère employer ce précieux ustensile pour laver son passé. »

jeter le bébé avec l’eau du bain

Quand on risque de « jeter le bébé avec l’eau du bain », on compromet l’essentiel d’une situation en tentant d’en corriger les inconvénients mineurs. L’expression est souvent utilisée dans sa forme négative, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, justement parce qu’il s’agit d’éviter le geste. En français, la locution semble d’emploi relativement récent, du moins dans ses attestations écrites : on la découvre, par exemple, en 1927 dans l’Action française et la Revue des Deux Mondes. Mais la forme de l’expression n’est pas née dans l’espace francophone : ici aussi, elle est un calque de l’anglais to throw the baby out with the bathwater (attestée à partir des années 1840), qui est elle-même une traduction de l’allemand das Kind mit dem Bade ausschütten, d’emploi beaucoup plus ancien.

La première attestation dans l’édition allemande date de 1512 (à peine quelques décennies après l’invention de la presse d’imprimerie) et laisse supposer que l’expression circulait déjà à l’oral en Europe germanophone à la fin de la période médiévale. L’ouvrage concerné est un essai satyrique de Thomas Murner titré Narrenbeschwörung (« l’exorcisme des fous »), dans lequel le théologien et polémiste alsacien critique avec humour, et parfois virulence, les mœurs et les valeurs de son temps. La page pertinente est rédigée en vers et comprend une éloquente xylographie, qui dépeint la scène littéralement : une paysanne jette à la rivière l’eau souillée de sa bassine — bébé inclus. L’illustration elle-même (sa candeur, son humour, sa force allégorique) a-t-elle pu contribuer à la diffusion de l’expression à travers l’Europe de la Renaissance? On trouve aujourd’hui l’expression dans la plupart des langues européennes, comme en néerlandais (het kind met het badwater weggooien), en tchèque (vylít vaničku i s dítětem), en finnois (heittää lapsi pois pesuveden mukana) et en russe (vmeste s vodoj vyplesnutʹ i rebʹonka).

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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