Lʼerreur est hummus ?
Antidote me propose de remplacer le mot hummus par houmous. Pourtant, je vois souvent le mot hummus sur les emballages au marché. Qui a raison ?
Le mot dont il est ici question désigne ce qu’Antidote définit comme une « purée de pois chiches souvent servie comme hors-d’œuvre dans la cuisine du Moyen-Orient ». La préparation compte habituellement parmi ses ingrédients du tahini (beurre de sésame), du jus de citron, de l’ail et de l’huile d’olive. Ce plat est associé en particulier à la cuisine des pays du Levant (côte orientale de la Méditerranée). Son nom arabe hummus est dérivé du mot himmas ou himmis, qui signifie « pois chiche ». Durant la longue période où la région fut sous domination ottomane, le mot a été emprunté par la langue turque sous la forme humus. C’est par l’intermédiaire du turc que le mot, du moins sous certaines de ses formes, serait passé en français et en anglais.
Même si cette spécialité est connue dans les pays francophones depuis au moins quelques décennies, l’entrée du mot dans les dictionnaires français courants est récente. Ainsi, c’est en 2004 qu’Antidote enregistrait le mot, d’abord sous la forme hoummos, puis en ajoutant les graphies hoummous, houmous, houmos et hommos. Le Petit Larousse et le Petit Robert ont suivi simultanément dans leur édition 2007 : le premier consignait houmous ou hommos tandis que le second mentionnait houmous et les variantes hoummous, houmos ou homos, cette dernière graphie ayant été supprimée dans une édition ultérieure.
L’on constate donc que les dictionnaires ne sont pas chiches en variantes :
hoummous
houmous
hoummos
houmos
hommos
Cette pléthore orthographique traduit le flottement de l’usage français quant à la prononciation de cet emprunt lexical. Voici quelques points d’hésitation.
La consonne m est parfois double, comme en arabe, parfois simple, comme en turc. Le français compte de nombreux mots qui s’écrivent avec deux m successifs, mais la tendance moderne générale est de prononcer ces deux m comme une seule consonne. Il subsiste toutefois certains mots, comme grammaire, qui sont souvent prononcés avec un redoublement de la consonne.
Les voyelles de notre mot sont prononcées tantôt comme « ou », tantôt comme « o ». L’arabe ne fait pas de distinction fonctionnelle entre ces deux sons. En turc, les deux lettres u du mot humus se prononcent « ou ».
Quant au h initial, il traduit dans le mot arabe une consonne fricative pharyngale (phonème inconnu en français), alors qu’en turc il se prononce en un h expiré, comme dans le mot anglais happy. En français, on n’utilise généralement pas ce son h expiré (sauf parfois dans des interjections comme hop !) et la lettre h doit ici être lue comme un h dit « aspiré », qui ne représente en fait pas une aspiration d’air, mais une simple disjonction, c’est-à-dire l’interdiction de liaison ou d’élision devant le mot. On dira ainsi le houmous ou du houmous, et non pas, avec un h muet, l’houmous et de l’houmous. En pratique, la disjonction est loin d’être toujours respectée pour ce mot, mais elle est du moins généralement recommandée.
Et la graphie hummus là-dedans ? Il est vrai qu’au Québec, on trouve cette forme dans l’usage et dans le commerce, probablement sous l’influence de l’équivalent anglais hummus, mais cette graphie est à éviter, pour diverses raisons.
D’abord, comme en français la lettre u ne se prononce généralement pas « ou », contrairement à la plupart des autres langues (comme le turc, l’espagnol ou l’italien), la graphie hummus induit souvent le lecteur à donner au mot la prononciation « umus » plutôt que « oumous », ce qui s’éloigne de sa prononciation d’origine.
Ensuite, si la graphie hummus est ainsi prononcée « umus », lorsque vient le moment d’antéposer l’article partitif du, on obtient du hummus prononcé « duumus », avec une suite de deux voyelles identiques, une forme d’hiatus que le français cherche généralement à éviter. On pourrait contourner le problème en élidant (de l’hummus = « delumus »), mais on a vu que la lettre h du mot représente en principe un h aspiré qui interdit l’élision.
Enfin, la forme hummus prononcée « umus » présente l’inconvénient d’une homophonie gênante avec le mot humus, « terre formée par la décomposition des végétaux », rapprochement qui n’est guère appétissant pour le nom d’une spécialité culinaire.
La graphie hummus s’intègre donc plutôt mal dans le système du français et on a vu que les solutions de rechange proposées par les dictionnaires ne manquent pas, dont la forme houmous, que le correcteur d’Antidote propose comme premier choix. Comme cet emprunt lexical est encore relativement récent et qu’il existe plusieurs formes concurrentes, il n’est peut-être pas trop tard pour tenter d’orienter l’usage dans une bonne direction. Seul l’avenir nous dira si une graphie prépondérante émergera plus nettement de cette « purée de pois ».