Deux questions de toponymie
Voici deux questions distinctes, mais reliées : l’une que l’on pourrait qualifier de « générique », l’autre de « spécifique ».
1. Dans les noms propres géographiques formés avec un adjectif, où faut-il mettre les majuscules : faut-il écrire la mer Rouge, la Mer rouge ou la Mer Rouge ?
Les toponymes (noms propres de lieux) sont souvent formés de la combinaison d’un élément générique, qui indique le type d’entité géographique (mer, lac, mont, océan) et d’un élément spécifique, qui est un nom, un adjectif ou un groupe de mots qui distingue cette entité des autres du même type. Par exemple, voici quelques noms de lacs :
le lac Victoria
le lac Supérieur
le lac de Constance
le lac Saint-Jean
le lac des Deux Montagnes
La règle veut que le générique (ici, lac) prenne la minuscule, contrairement au spécifique. L’exemple lac Supérieur montre que la règle vaut aussi dans le cas où le spécifique est un mot de nature adjectivale, comme Supérieur.
Voici quelques exemples de toponymes formés de divers génériques combinés avec un spécifique de nature adjectivale :
le lac Supérieur
la mer Rouge
l’océan Pacifique
le golfe Persique
le fleuve Jaune
le mont Royal
Il faut préciser au passage que la règle de la minuscule au générique s’applique quand les toponymes sont insérés dans une phrase. Sur une carte géographique ou sur un panneau de signalisation, où ils sont réduits à leur fonction d’étiquettes sans déterminant, les toponymes sont souvent composés avec une majuscule initiale au premier mot, quel qu’il soit, comme si l’on était en présence d’un titre ou d’un début de phrase. Par exemple, sur une carte, on pourra voir une vaste zone bleue traversée par la mention Océan Pacifique, avec un O majuscule. La majuscule au générique est acceptable dans ce contexte cartographique. L’omniprésence des cartes dans notre monde moderne explique d’ailleurs peut-être les hésitations de nombreux rédacteurs quant à l’emploi de la majuscule dans ce genre de toponymes.
Le dernier exemple ci-dessus, le mont Royal, ouvre la porte à la deuxième question, posée par une utilisatrice sur un toponyme apparenté.
2. Votre correcteur propose d’enlever Ville de (Mont-Royal) dans cette phrase : « Déménager une chaîne de production de confiserie d’une usine des États-Unis vers le Canada, sans interrompre les opérations de l’usine d’accueil à Ville de Mont-Royal. »
Toutefois, dans le site officiel de cette ville, nous pouvons lire Ville de Mont-Royal (dans le texte et sur le logo).
Vous trouverez ci-dessous des extraits de leur site Web dans lesquels on écrit différemment le nom de cette ville.
[Logo] Ville de Mont-Royal
La Ville de Mont-Royal s’étend sur une superficie de 7,43 km2.
Mont-Royal est située en plein centre de l’île de Montréal.
le maire de Mont-Royal
besoins des citoyens de Mont-Royal
© Copyright 2012, Ville de Mont-Royal. Tous droits réservés.
Pouvez-vous m’éclairer, S.V.P. ?
Le mot ville s’écrit avec une minuscule au sens courant d’« agglomération plus ou moins importante » :
La ville de Paris est traversée par la Seine.
Les touristes ont envahi la ville.
Il s’écrit toutefois avec une majuscule lorsqu’on parle de l’entité juridique ou administrative, de l’administration municipale, qui est considérée comme une personne morale :
La Ville de Paris a décidé de financer le projet.
Ce règlement vient d’être adopté par la Ville.
Parmi les exemples cités dans la question, ceux-ci respectent cette règle de la majuscule :
[Logo] Ville de Mont-Royal
© Copyright 2012, Ville de Mont-Royal. Tous droits réservés.
En revanche, l’exemple suivant est incorrect :
La Ville de Mont-Royal s’étend sur une superficie de 7,43 km2.
Comme il s’agit ici clairement de l’agglomération, et non de la personne morale, il aurait fallu écrire ville avec une minuscule :
La ville de Mont-Royal s’étend sur une superficie de 7,43 km2.
Comme on l’a vu plus haut, dans les toponymes, l’élément générique (ville, lac, mont, océan) s’écrit avec une minuscule, alors que l’élément spécifique, qui distingue le toponyme, s’écrit avec une majuscule : le lac Supérieur, le mont Everest, l’océan Pacifique, etc. Voici quelques exemples reliés entre eux par une série d’emprunts successifs :
Le mont Royal est une colline abritant un parc très fréquenté.
L’avenue du Mont-Royal est une artère commerciale.
La ville de Mont-Royal s’étend sur une superficie de 7,43 km2.
L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal a été créé en 2002.
L’élément générique et l’élément spécifique de chacun de ces exemples sont identifiés dans le tableau qui suit :
générique | spécifique | |
---|---|---|
mont | Royal | |
avenue | Mont-Royal | |
ville | Mont-Royal | |
arrondissement | Le Plateau-Mont-Royal* |
* Dans ce dernier exemple, le déterminant Le fait officiellement partie du spécifique, qui, employé seul, s’écrit Le Plateau-Mont-Royal (tout comme on écrit Le Caire ou Le Havre). Toutefois, le déterminant se contracte en du dans : l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal (tout comme on écrit la ville du Caire ou la ville du Havre).
Quand on parle d’une ville comme agglomération, on omet le plus souvent l’élément générique ville et on écrit seulement le spécifique. Parmi les exemples cités dans la question, voici ceux qui suivent cet usage :
Mont-Royal est située en plein centre de l’île de Montréal.
le maire de Mont-Royal
besoins des citoyens de Mont-Royal
Quant à cet exemple déjà cité :
La ville de Mont-Royal s’étend sur une superficie de 7,43 km2.
… on pourrait aussi l’écrire plus simplement :
Mont-Royal s’étend sur une superficie de 7,43 km2.
Dans le cas particulier de cette ville, le fait que l’élément générique ville soit souvent conservé s’explique peut-être en partie par le souhait du rédacteur d’éviter toute éventuelle ambigüité avec le nom de la colline, de l’avenue ou de l’arrondissement.
On peut aussi invoquer des raisons historiques. Cette municipalité à forte population anglophone, qui célèbre son centenaire cette année (après avoir été brièvement rattachée à Montréal de 2002 à 2006), avait été créée en 1912 sous le nom anglais Town of Mount Royal et la forme française Ville Mont-Royal, sans préposition, forme que l’on rencontre encore assez souvent, même si elle n’est plus recommandée.
Revenons à la phrase initiale, qui se termine ainsi :
l’usine d’accueil à Ville de Mont-Royal
Ici, il ne s’agit clairement pas de l’entité administrative, de la personne morale. Il faudrait récrire la phrase de l’une des deux façons suivantes :
l’usine d’accueil à/dans la ville de Mont-Royal
l’usine d’accueil à Mont-Royal
En guise de conclusion, on peut rappeler que c’est le mont Royal qui est à l’origine de cette descendance « royale » toponymique. Baptisé par Jacques Cartier en 1535 (« nous nommasmes icelle montaigne le mont Royal », peut-on lire dans la relation du voyage), il arbore l’un des plus anciens toponymes français d’Amérique.