Conjonction en début de phrase
Un utilisateur nous écrit :
Certaines personnes prétendent qu’il ne faut jamais commencer une phrase par mais, alors que d’autres n’y voient aucun inconvénient. Quel est votre avis sur la question ?
Des gens disent parfois avoir appris à l’école qu’il ne faut jamais commencer une phrase avec des conjonctions de coordination comme mais, ou, et, donc, or, ni, car. Ces mots ont pour fonction d’unir des mots ou des groupes de mots de même fonction.
Mais rien n’empêche que les groupes de mots coordonnés par une conjonction soient des phrases entières, comme c’est le cas des deux phrases dont vous terminez ici la lecture.
L’élément coordonné qui précède la conjonction peut même être constitué de plusieurs phrases. Voici ce que dit là-dessus le Bon Usage, le célèbre ouvrage des grammairiens Maurice Grevisse et André Goosse :
Des esprits logiciens considèrent comme une faute le fait de mettre une conjonction de coordination après un point. L’usage, notamment celui de Léautaud, ne tient aucun compte de cette interdiction, même après un alinéa. Il arrive d’ailleurs que le lien soit établi, non avec la phrase qui précède immédiatement, mais avec un ensemble comprenant plusieurs phrases1.
La conjonction mais a généralement pour fonction de mettre en opposition logique les deux éléments qu’elle coordonne. Voyons par exemple l’usage qu’en fait Gustave Flaubert, styliste rigoureux s’il en est, dans son roman Salammbô2. Voici deux extraits du chapitre vii où mais coordonne deux phrases :
Leurs intérêts, leur existence se trouvait attaquée par les Barbares. Mais on ne pouvait les vaincre sans le secours du Suffète ; et cette considération, malgré leur orgueil, leur fit oublier toutes les autres.
Voilà longtemps que mon cœur était triste, et la maison languissait. Mais le maitre qui revient est comme Tammouz ressuscité ; et sous ton regard, ô père, une joie, une existence nouvelle va partout s’épanouir !
Au total, le chapitre vii compte 37 occurrences de mais, parmi lesquelles 27 se trouvent en tête de phrase, dont 7 en début d’alinéa.
Remarquez au passage, dans les deux extraits ci-dessus, l’emploi d’une autre conjonction de coordination, et : elle est placée trois fois au début d’une proposition, l’une précédée d’une virgule et deux précédées d’un point-virgule. Flaubert utilise aussi cette conjonction en tête de phrase : on en trouve une vingtaine d’exemples dans ce même chapitre. Les phrases commençant par et sont monnaie courante dans les récits qui relatent une succession de faits ou d’évènements, par exemple les récits bibliques (« Et Dieu vit que cela était bon. »). Autre exemple, on peut en recenser plus d’une centaine dans le Petit Prince3, le célèbre conte d’Antoine de Saint-Exupéry.
Ce qui est à éviter, c’est de commencer une phrase par une conjonction de coordination sans que le lecteur puisse clairement saisir à quoi cette phrase est coordonnée. Par exemple, on évitera de commencer un roman par la conjonction mais, à moins de vouloir donner au lecteur l’impression d’atterrir au beau milieu d’une conversation ou d’une méditation.
Il y a un autre écueil à éviter. En français écrit contemporain, on observe une tendance à l’utilisation de phrases relativement courtes, souvent sans verbe, avec la conséquence que les conjonctions de coordination se retrouvent fréquemment en début de phrase, après une ponctuation forte. Il ne faut pas abuser de ce style discontinu et saccadé :
C’est un peu plus cher que prévu. Mais ça ira.
On le dit compétent. Mais vantard.
La question qu’il faut ici se poser n’est pas si l’on peut commencer une phrase par mais, mais si la ponctuation reflète bien l’intention et si l’opposition exprimée par mais ne gagnerait pas à être formulée en une seule phrase plutôt qu’en deux. C’est particulièrement vrai dans le deuxième exemple ci-dessus, où mais semble coordonner deux éléments de fonction différente : un adjectif (vantard) et une phrase (On le dit compétent). À moins de vouloir reproduire les pauses d’un débit oral haché ou d’une pensée hésitante, il serait plus naturel de ponctuer ces phrases ainsi :
C’est un peu plus cher que prévu, mais ça ira.
On le dit compétent, mais vantard.
Rappelons que, à l’intérieur d’une phrase, mais est généralement précédé d’une virgule, mais celle-ci est facultative si les éléments coordonnés sont très brefs :
On le dit compétent, mais vantard.
On le dit compétent mais vantard.
Enfin, dans certains de ses emplois, la fonction du mot mais n’est pas de marquer une coordination avec un élément précédemment énoncé, mais de jouer un rôle expressif qui se rapproche de celui d’une interjection. Il est alors normal de retrouver ce mot en début de phrase, sans lien nécessaire avec les phrases qui précèdent :
Mais si ce n’est pas mon vieux copain que voilà !
Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ?
En conclusion, il n’y a pas de règle absolue interdisant d’utiliser les conjonctions de coordination en début de phrase, puisque même de grands auteurs ne se privent pas de le faire. C’est la logique et la clarté de l’expression qui devraient guider le rédacteur.
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Grevisse, Maurice et André Goosse, Le Bon Usage : grammaire française, 14e édition, Bruxelles, De Boeck/Duculot, 2007, p. 1393. ↩
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Voyez par exemple cette version en ligne : chapitre vii de Salammbô de Gustave Flaubert (1862). ↩
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Saint-Exupéry (de), Antoine, le Petit Prince, 1943. ↩