Points de langue - 4 mai 2024 - 7 min

Mille-et-une questions sur mille

Sommaire

mille ou milles ?

Dans son emploi habituel de numéral représentant le nombre 1 000, le mot mille, prononcé [mil], est invariable et ne prend donc jamais de s au pluriel, aussi bien comme numéral cardinal que comme numéral ordinal :

mille personnes sont venues
mille sont venues
neuf-cent-mille habitants
les mille pages du livre
les deux-mille pages du livre
la page mille
la page deux-mille
Je vous le donne en mille.

Locution signifiant « vous ne devinerez jamais (je vous donne une chance sur mille) ».

Mille diffère en cela des numéraux vingt et cent, qui prennent un s quand ils sont multipliés et ne sont pas suivis d’un autre numéral :

quatre-mille euros
quatre-cents euros
quatre-vingts euros

Un adjectif peut s’intercaler entre mille et un numéral qui le précède :

Il faut cent autres mille dollars.

Mille reste invariable dans les cas où son emploi se rapproche de celui du nom variable millier (voir plus bas la section sur ce nom).

En revanche, la marque du pluriel est de rigueur quand mille est employé comme nom d’unité de distance :

Le prochain port est situé à un mille d’ici.
Le prochain port est situé à deux milles d’ici.

Ce nom peut lui-même être précédé du numéral mille :

Le prochain port est situé à mille milles d’ici.
Le prochain port est situé à deux-mille milles d’ici.

Cet emploi comme unité de distance fait par ailleurs souvent l’objet de la question suivante.

mille ou mile ?

Le nom mille désigne différentes unités de distance dont la valeur exacte a varié selon les époques et les pays. Voici les plus connues.

Le nom de l’unité remonte au mille romain, employé par les Romains de l’Antiquité, qui correspondait à une distance de mille pas, soit environ 1 500 mètres si l’on en juge par la distance séparant les bornes milliaires ou colonnes milliaires qui jalonnaient les voies romaines et dont certaines ont survécu jusqu’à notre époque. Ne pas confondre cet adjectif milliaire (« indiquant une distance d’un mille ») avec l’adjectif miliaire, avec un seul l, qui signifie « qui a l’aspect d’un grain de mil » et qui est utilisé en anatomie et en médecine notamment pour qualifier certaines pathologies, comme la fièvre miliaire.

Le mille marin, ou mille nautique, ne correspond pas à mille pas marchés sur l’eau, mais à la longueur moyenne d’un soixantième de degré (une minute) de latitude, arrondie par convention à exactement 1 852 mètres. Comme cette unité liée au degré s’avère pratique pour la navigation maritime et aérienne, elle est couramment employée dans ces domaines à la place du kilomètre. La vitesse d’un nœud correspond d’ailleurs à un mille marin par heure. La variante mille nautique, calquée sur l’anglais nautical mile, a donné naissance par ellipse au nom masculin un nautique, de même sens. Les trois exemples ci-dessous sont donc synonymes :

Le prochain port est situé à trente milles marins d’ici.
Le prochain port est situé à trente milles nautiques d’ici.
Le prochain port est situé à trente nautiques d’ici.

Le mille terrestre ou mile ou mille est une unité anglo-saxonne valant 5 280 pieds. La valeur de ce pied ayant été fixée de nos jours à exactement 30,48 centimètres, le mille terrestre vaut exactement 1 609,344 mètres.

Cette unité s’appelle en anglais mile (ou statute mile quand il y a risque de confusion avec d’autres unités). En Europe francophone, où elle est peu utilisée, elle est habituellement écrite et prononcée à l’anglaise mile ([majl). Elle s’y rencontre surtout quand il est question d’athlétisme et de sports hippiques. Les coureurs ou chevaux spécialistes de cette distance sont parfois appelés des mileurs (avec le i prononcé à l’anglaise).

Au Québec, qui a connu un passé colonial britannique, cette unité fut d’un usage répandu et a depuis longtemps été francisée en mille ([mil]). Elle entre dans quelques expressions, comme à cent milles à l’heure (« à toute vitesse » ou « intensément ») ou être sur ses derniers milles, c’est-à-dire être sur le point de céder, de ne plus fonctionner. Elle a aussi donné naissance au nom dérivé millage, calqué sur l’anglais mileage et d’un emploi analogue à celui de kilométrage. Le nom peut aussi avoir des emplois figurés : avoir beaucoup de millage, c’est présenter des signes d’usure. Ces emplois figurés mettent en jeu la métaphore du véhicule détérioré par l’usage.

mille ou mil ?

Le numéral mille vient du latin millia (ou milia), qui est une forme plurielle (« plusieurs milliers »). La forme latine singulière mille (« un millier ») a donné la graphie française mil. Cette forme s’employait au singulier, alors que la forme mille fut d’abord restreinte au pluriel avant d’étendre son emploi au singulier à la fin du Moyen Âge. La forme mil ne survit plus que dans l’écriture des années dans les dates, selon des règles devenues aujourd’hui facultatives, mais qu’il est bon de connaitre, puisqu’on peut encore tomber sur cette variante, par exemple dans des actes notariés.

D’après ces règles, il faut préférer mil à mille dans l’énoncé d’une date quand celle-ci est de l’ère chrétienne, que ce numéral n’est pas multiplié et qu’il est suivi d’au moins un autre numéral, ce qui couvre les années 1001 à 1999. Ainsi (sauf mention contraire, les exemples sont de l’ère chrétienne) :

en mil-six-cent-vingt
en mil-vingt-quatre
l’an mil-un

Mais :

en mille-six-cent-vingt av. J.-C. (c’est avant l’ère chrétienne)
en deux-mille-vingt-quatre (car mille est multiplié)
l’an mille (car mille n’est pas suivi d’un numéral)

Rappelons que ces règles plutôt arbitraires et souvent mal respectées (l’an mil est fréquent) ne sont plus obligatoires et qu’on peut écrire mille dans tous les cas.

mille ou 1 000 ?

Bien qu’il représente un nombre assez élevé, le numéral mille est relativement court et maniable. Dans les textes courants pauvres en données numériques, on peut écrire le nombre en toutes lettres sans alourdir le texte. Mais attention, il est alors interdit d’abréger l’éventuel nom d’unité qui suit. Le deuxième exemple ci-dessous est donc fautif :

Nous avons parcouru plus de mille kilomètres au total.
*Nous avons parcouru plus de mille km au total.

Dans les contextes techniques et scientifiques où abondent les chiffres (et où les unités sont souvent remplacées par leurs symboles), on préfèrera écrire 1 000 :

La force est de 1 000 newtons.
La force est de 1 000 N.

1 000 ou 1000 ?

Pour représenter de grands nombres cardinaux écrits en chiffres, on dispose ces chiffres en groupes de trois visuellement séparés les uns des autres. Ce découpage correspond au découpage oral en mille, millions, milliards, etc. En français, le séparateur recommandé à cette fin est une espace insécable (fine ou non) :

1 200 500 000 habitants
75 000 euros
1 000 newtons
1 000 pages

Cela dit, il est d’usage de tolérer l’absence de séparateur quand le nombre compte 4 chiffres :

1000 pages

Cette tolérance provient peut-être d’une confusion avec l’usage pour les nombres ordinaux (notamment les numéros d’années, qui contiennent souvent quatre chiffres), où la règle est de ne pas utiliser de séparateur :

l’an 2024
la page 1000
le numéro 3485000

Dans le doute, s’en tenir à la règle générale pour les cardinaux et préférer la première de ces deux options :

1 000 pages
1000 pages

À plus forte raison si le contexte immédiat contient aussi des nombres de cinq chiffres ou plus :

Ce modèle-ci coute 12 000 € et celui-là 9 000 €.

mille ou millier ?

Millier est à mille ce que centaine est à cent ou dizaine à dix. Il ne s’agit pas d’un déterminant comme mille, mais d’un nom désignant la même quantité (parfois avec le sens approximatif d’« environ mille »). Son emploi se distingue en conséquence. Prenons ces deux phrases synonymes :

L’armée compte trois-mille fantassins.
L’armée compte trois milliers de fantassins.

On voit que millier prend la marque du pluriel et qu’il est suivi d’un complément introduit par de. Noter également la présence obligatoire du déterminant un devant millier ci-dessous :

L’armée compte mille fantassins.
L’armée compte un millier de fantassins.

Les noms de grands nombres, comme million, milliard et billion ont un comportement similaire.

Remarquons aussi que millier n’empêche pas la variabilité de vingt ou cent quand ces numéraux le précèdent immédiatement :

Sa population est de deux-cent-mille habitants.
Sa population est de deux-cents milliers d’habitants.

En fonction du sens sur lequel on veut insister, l’accord du verbe peut se faire avec le nom complément de millier ou, ce qui est plus rare, avec millier :

Un millier d’habitants ont été déplacés.
Un millier de dollars n’est pas suffisant.

En position de complément d’un nom de nombre (comme dizaine ou centaine), millier est préférable à mille quand il est lui-même suivi d’un nom (étoiles dans les exemples qui suivent). Les deux premières de ces tournures sont moins recommandables :

On voit des dizaines de mille étoiles.
On voit des dizaines de mille d’étoiles.
On voit des dizaines de milliers d’étoiles.

En l’absence de nom complément, l’un ou l’autre peut se dire :

On en voit des dizaines de mille.
On en voit des dizaines de milliers.

L’emploi de mille dans ce dernier exemple se rapproche de celui d’un nom, mais le mot reste invariable. C’est aussi le cas dans :

Le chiffre des mille est illisible. (= le chiffre des milliers)

C’est encore le cas dans la locution familière des mille et des cents (variante plus rare : des cents et des mille), qui signifie « en grande quantité », surtout en parlant d’argent :

Elle gagnait des mille et des cents.

mille-deux-cents ou douze-cents ?

Pour la formation des numéraux composés représentant les nombres situés de 1 100 à 1 999, on observe une concurrence entre un procédé additif et un procédé multiplicatif :

1 200 = 1 000 + (2 × 100) = mille-deux-cents
1 200 = 12 × 100 = douze-cents

Ces deux expressions sont possibles et correctes. Si elles sont employées comme numéraux ordinaux, cent ne prend pas de s :

la page mille-deux-cent
la page douze-cent

On peut dégager de l’usage des préférences entre les deux procédés de formation.

Le procédé multiplicatif (douze-cents) est fréquent dans la langue parlée, en particulier pour les cas où le multiplicateur est un numéral simple, soit de onze à seize :

Ça m’a couté quinze-cents dollars.
Il est mort en seize-cent-vingt-huit.

À l’écrit, ces nombres sont le plus souvent représentés en chiffres, mais, quand ce n’est pas le cas, en particulier dans des textes juridiques, administratifs ou scientifiques, le procédé multiplicatif est moins fréquent que l’additif (mille-deux-cents), qui est plus uniforme avec l’écriture des nombres supérieurs à 1 999. Par exemple :

Payez la somme de mille-cinq-cents dollars à l’ordre de…
Il est décédé en l’an mil(le)-six-cent-vingt-huit.

mille-un ou mille-et-un ?

Le nombre 1 001 s’écrit et se prononce mille-un (mille-une devant un nom féminin). La conjonction et doit normalement être réservée à ces nombres composés :

vingt-et-un(e)
trente-et-un(e)
quarante-et-un(e)
cinquante-et-un(e)
soixante-et-un(e)
soixante-et-onze

Sans oublier des variantes régionales comme :

septante-et-un(e)
huitante-et-un(e)
nonante-et-un(e)

Cela dit, l’expression mille-et-un(e) est couramment employée dans le sens d’« un nombre indéterminé et élevé » :

les mille-et-un tracas de la vie quotidienne
Il m’a appris mille-et-une choses sur le métier.

La présence de et dans les mille-et-une questions du titre qui coiffe la présente chronique trahit donc son caractère d’hyperbole. D’ailleurs, les traits d’union attendus par l’orthographe rectifiée pour les numéraux ne nous semblent pas ici indispensables, étant donné le caractère vague et non mathématique de l’expression :

les mille-et-un tracas de la vie quotidienne.
les mille et un tracas de la vie quotidienne.

À noter que le nombre mille tout court revêt souvent lui aussi ce sens indéterminé d’« un grand nombre de fois » :

Je t’ai déjà dit mille fois de ne pas toucher à ça !

Quant au recueil de contes orientaux connu sous le nom des Mille et Une Nuits (noter les majuscules), la présence de la conjonction et dans son titre semble à première vue transgresser le principe énoncé plus haut, puisque c’est bel et bien au bout d’exactement 1 001 nuits que la conteuse Schéhérazade parvient à apaiser le sultan Schahriar. En fait, ce titre français remonte au début du xviiie siècle, une époque où l’emploi de cette conjonction dans les numéraux composés était plus libre. L’orthographe aussi d’ailleurs, la première édition portant comme titre LES MILLE & UNE NUIT [sic]1.


  1. Les Mille & Une Nuit. Contes arabes, traduction d’Antoine Galland, Paris, Barbin, 1704. 

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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