Clic et cliquer
Clic ! Voilà un petit son que vous avez probablement entendu au moment d’accéder à cette page. Un mot comme clic !, à caractère imitatif et utilisé pour désigner un bruit, est appelé onomatopée. D’une langue à l’autre, les onomatopées utilisées pour décrire un même bruit peuvent se ressembler. Ainsi, les anglophones écrivent-ils click ! là où les francophones écrivent clic ! En français, ce mot est attesté depuis des siècles. Le Dictionnaire des onomatopées de Pierre Enckell et Pierre Rézeau lui consacre quelques pages et lui donne entre autres cette définition : « petit bruit ponctuel, le plus souvent d’origine métallique et produit par le déclic d’un mécanisme, d’un dispositif ».
De nos jours, le plus « bruyant » de ces dispositifs est sans nul doute l’omniprésent dispositif de pointage affectueusement appelé souris, cette bestiole qui a proliféré en même temps que le microordinateur dont elle constitue un indispensable périphérique d’entrée. La souris est munie d’un nombre variable de boutons qui font clic ! sous la pression du doigt. Ce petit bruit mécanique confirme à l’utilisateur que la pression a été suffisante pour déclencher un signal envoyé à l’ordinateur. La réaction de l’ordinateur à ce signal dépendra généralement de l’emplacement à l’écran du pointeur dont le mouvement est couplé à celui de la souris.
En raison de son bruit caractéristique, on a donné par métonymie le nom clic à l’action elle-même, à la pression du bouton de la souris par l’utilisateur et à la commande associée. C’est d’abord en anglais que le mot click a revêtu ce sens informatique. Il a été tout naturellement traduit par clic en français. Dans cet emploi comme nom, le mot clic s’écrit sans point d’exclamation et prend un s au pluriel : un clic, deux clics.
Le verbe correspondant à l’action du clic est cliquer, un vieux mot qui, en France, était tombé en désuétude (concurrencé notamment par cliqueter), mais que les informaticiens ont ressuscité pour traduire le verbe anglais to click.
Cliquer sur l’icône ou cliquer l’icône ?
L’action décrite par le verbe cliquer met à la fois en jeu un bouton de la souris et, à l’écran, un élément de l’interface graphique sur lequel se trouve le pointeur de la souris : icône, bouton graphique, hyperlien, etc. On introduira le nom d’un tel élément avec une préposition spatiale : cliquer SUR l’icône, cliquer DANS la fenêtre, cliquer SOUS le titre, etc. Certains emploient le verbe transitivement (cliquer l’icône, cliquer le bouton de la souris, etc.) mais, comme en témoigne éloquemment le dictionnaire de cooccurrences d’Antidote, ces emplois sont nettement minoritaires dans l’usage et sont donc à déconseiller.
Le principe est le même sous la forme nominale : un clic SUR l’icône est préférable à un clic de l’icône. Des tournures comme faire un clic sur… ou effectuer un clic sur… peuvent être utilisées comme synonymes de cliquer sur…
Gauche, droite, clic !
Quand une souris comporte plus d’un bouton, c’est par convention le bouton gauche qui sert de bouton par défaut pour un utilisateur droitier. Quand on utilise le verbe cliquer sans plus de précision, on sous-entend qu’il est question du bouton gauche. Un clic avec le bouton droit est alors réservé à certaines actions particulières, comme l’affichage d’un menu contextuel. Pour exprimer la chose, plusieurs expressions se font concurrence : cliquer avec le bouton droit, cliquer sur le bouton droit, cliquer à droite, etc. La tournure cliquer à droite a l’avantage de la concision, mais peut parfois prêter à équivoque : parle-t-on de la droite de l’écran ou de la droite de la souris ? C’est pourquoi une formulation explicite avec le mot bouton ou souris est préférable. On a vu que la préposition sur sert souvent à introduire un mot désignant un élément affiché à l’écran ; il est donc sage de la réserver à cet usage et d’utiliser plutôt la préposition avec pour introduire le bouton de la souris : cliquer SUR l’icône AVEC le bouton droit. On n’a généralement pas besoin d’ajouter de la souris, mais s’il y a risque d’ambigüité et que le mot bouton peut être confondu avec un bouton graphique affiché à l’écran, on devrait préciser ainsi : cliquer sur tel bouton (graphique) avec tel bouton DE LA SOURIS. La formulation abrégée cliquer avec la souris sous-entend habituellement qu’il s’agit du bouton gauche.
On rencontre aussi plusieurs formulations pour désigner le nom correspondant : un clic avec le bouton droit, un clic du bouton droit, un clic droit, etc. Cette dernière formulation, la plus concise, s’impose de plus en plus dans l’usage. On rencontre parfois la graphie avec trait d’union clic-droit, mais le trait d’union est superflu dans ce syntagme nominal régulier formé d’un nom suivi d’un adjectif épithète, contrairement par exemple au nom passe-droit où passe a valeur de verbe et droit a valeur d’adverbe.
Ce qui vient d’être dit s’applique également pour le bouton gauche dans les rares contextes où il est préférable de le mentionner explicitement pour lever toute ambigüité : cliquer avec le bouton gauche, un clic gauche, etc. Tournure à proscrire : cliquer gauchement…
On trouve aussi des formes comme droit(e)-cliquer et gauche-cliquer, mais ces constructions directement calquées de l’anglais to right-click et to left-click, ainsi que les noms équivalents droit-clic et gauche-clic, sont plutôt bancales en français.
Il semble que personne n’ait pensé à proposer des néologismes savants comme dextrocliquer et dextroclic. Peut-être parce que les équivalents latinisants pour le bouton gauche ne seraient guère invitants : sinistrocliquer, sinistroclic…
Cliquer deux fois ou double-cliquer ?
La souris est dotée d’une fonction fort utile : dans un même contexte, deux clics enchainés rapidement avec le bouton gauche signalent à l’ordinateur une commande différente de celle provoquée par deux clics espacés. Par exemple, ce pourrait être la commande d’ouvrir un document dont l’icône est pointée. Pour désigner cette action, outre quelques jolies formes d’un usage malheureusement confidentiel (clic-cliquer, clicliquer, bicliquer), on rencontre principalement deux formulations : double-cliquer et cliquer deux fois. La première forme, calquée sur le verbe anglais to double-click, a parfois été critiquée pour cette raison, mais elle s’est imposée dans l’usage, comme en témoignent les dictionnaires usuels récents. Quant à l’expression cliquer deux fois, on lui reproche parfois son caractère ambigu : s’agit-il de deux clics rapidement enchainés ou non ?
Le nom correspondant au verbe double-cliquer est double-clic (pluriel : des doubles-clics). Le comportement syntaxique de ces deux mots est similaire à celui de clic et cliquer. Par exemple, on dira double-cliquer sur l’icône ou faire/effectuer un double-clic sur l’icône.
Pourquoi ces deux calques se sont-ils plus facilement intégrés au français que les calques droit-cliquer et droit-clic ? C’est sans doute parce que l’adjectif double, contrairement aux adjectifs droit et gauche, se place très souvent devant le nom qu’il qualifie : double croche, double fond, etc.
Faut-il écrire ces mots avec une espace (double cliquer, un double clic) ou avec un trait d’union (double-cliquer, un double-clic) ou encore en soudant les deux éléments (doublecliquer, un doubleclic) ? Dans le cas du verbe, la forme avec espace, où le verbe est précédé d’un mot qui est normalement un adjectif (double), est peu régulière. La forme avec trait d’union met mieux en valeur le caractère ici adverbial de cet adjectif et le caractère figé de l’expression. Cette forme double-cliquer est la plus fréquente. Quant au nom, si la forme avec espace double clic est grammaticalement régulière, la forme avec trait d’union double-clic est la plus fréquente, peut-être sous l’influence du verbe. Cette hésitation peut se remarquer avec d’autres termes composés avec double (en musique, une double croche ou une double-croche). Pour ce qui est des formes soudées doublecliquer et doubleclic, elles sont nettement minoritaires. Il faut dire qu’il n’y a pas de précédent de mot français composé avec un préfixe double- qui serait soudé. On pourra le vérifier en soumettant la chaine double* au dictionnaire d’Antidote : les composés de ce type s’écrivent tous avec une espace ou un trait d’union. De plus, les composés avec double ne font pas partie des mots pour lesquels les rectifications de l’orthographe recommandent la soudure. Nous recommandons donc de privilégier les variantes avec trait d’union : double-cliquer et double-clic.
Certaines applications informatiques attribuent un statut spécial à trois ou même quatre clics consécutifs rapidement exécutés, ce qui a donné naissance à des mots comme triple-cliquer ou quadruple-clic. Cette surenchère de clics amène parfois certains à sentir le besoin de recourir aux pléonasmes simple-clic et simple-cliquer… mais dans ce sens il est préférable de s’en tenir à clic et cliquer.
Autres membres de la clique de clic
Tout naturellement, le verbe cliquer est parfois précédé du préfixe re‑ indiquant la répétition : recliquer.
On trouve quelquefois le nom cliquage, discret synonyme de clic, et des formes apparentées comme double-cliquage.
Il existe aussi l’adjectif cliquable pour qualifier un élément graphique sur lequel un clic provoquera une action particulière. De cet adjectif dérivent à leur tour des mots comme double-cliquable, incliquable et cliquabilité.
On peut aussi croiser les variantes minoritaires clicage et clicable, où qu devient c devant a. Bien qu’il y ait des précédents à ce comportement graphique (par exemple, appliquer donne applicage et communiquer donne communicable), les graphies en ‑qua‑ sont à préférer pour une raison de régularité (tout comme repiquer donne repiquage et critiquer donne critiquable).
Les cracks d’informatique appellent familièrement et péjorativement cliquodrome un système d’exploitation ou un programme dont l’interface peu ergonomique est truffée de menus et de sous-menus forçant l’utilisateur à cliquer sans arrêt. Le mot est très souvent écrit cliquodrôme, mais cet accent circonflexe n’est pas justifié. Le suffixe -drome, qui nous vient du grec dromos (« piste ») est utilisé en français pour former des mots où il est question d’un terrain aménagé en piste (hippodrome, vélodrome, aérodrome, etc.). Dans le cas du cliquodrome, c’est donc la souris qui doit courir sans cesse.
Ce qui nous amène à mentionner la cliquomanie, cette tendance pour un utilisateur d’interface graphique à cliquer sur tous les éléments qui y sont affichés : boutons, icônes, liens, bandeaux, etc. Dans le contexte du Web et des publicités en ligne, où le moindre clic publicitaire possède une valeur marchande, les cliqueurs compulsifs sont prisés des annonceurs, qui ont intérêt à mesurer le taux de clics, qui exprime le rapport entre le nombre de fois où l’on a cliqué sur une publicité et le nombre de fois où elle a été vue, ce qui constitue un bon indicateur de son efficacité.
Dans ce Web que l’on parcourt en cliquant sur des liens, le mot clic est devenu par métonymie synonyme de « consultation d’une page, d’un site, de données » : dénicher une information en quelques clics, y accéder d’un clic, etc. De leur côté, les webmestres s’efforceront de respecter la règle des trois clics, ce principe d’ergonomie voulant que, sur un site, toute information soit accessible en un maximum de trois clics.
En guise de conclusion à cette petite encyclopédie du clic (cette encyclique ?), un constat : le Web a pratiquement rendu le monde à portée de clic.