Chronique horokilométrique
Peut-être suscitée par un récent Point de langue métrologique, une nouvelle question sur les unités de mesure nous est soumise :
Je voudrais savoir, des expressions kilomètre/heure, kilomètre à l’heure, kilomètre par heure, laquelle est la bonne… Mon hypothèse est que la dernière ne serait que la traduction paresseuse de l’anglais kilometre per hour et s’appliquerait plutôt à quantifier une vitesse régulière et invariable (par heure sous-entendant que plusieurs heures successives sont prises en considération).
Dans la section Locutions de l’entrée kilomètre, Antidote définit cette unité de vitesse et lui donne trois variantes :
kilomètre par heure
kilomètre à l’heure
kilomètre-heure
La première ne porte pas de marque particulière, alors que les deux autres sont dotées de la marque
.La forme kilomètre par heure est irréprochable, car, en français technique, c’est la préposition par, à valeur distributive, qui est utilisée pour exprimer un quotient d’unités de mesure (et c’est la barre oblique qui est utilisée quand ces unités sont remplacées par leurs symboles). Le nom de l’unité qui suit la préposition par s’écrit toujours au singulier, sans déterminant :
Unité | Symbole | |
---|---|---|
kilomètre(s) par heure | km/h | |
newton(s) par mètre | N/m | |
kilogramme(s) par mole | kg/mol | |
joule(s) par kilogramme | J/kg |
Pour ce qui est de la forme kilomètre à l’heure, elle peut se prévaloir d’une ancienneté comparable à celle de kilomètre par heure. On trouve des attestations de ces deux locutions dès les premières décennies qui ont suivi la création du terme kilomètre à la fin du xviiie siècle (on trouve antérieurement des occurrences de lieues par heure et, plus rares, de lieues à l’heure). Dans la langue de tous les jours, c’est la forme kilomètre à l’heure qui s’est peu à peu imposée. Sa prononciation plus fluide a pu peser dans la balance.
L’économie articulatoire a sans doute joué aussi dans l’apparition, plus tardive, de la forme elliptique kilomètre-heure, normalement écrite avec un trait d’union, signe graphique indiquant une forte unité lexicale entre deux noms apposés. Bien que cette variante soit elle aussi répandue, on évitera l’emploi de kilomètre-heure dans la langue technique, car celle-ci réserve le trait d’union aux noms d’unités résultant d’un produit d’unités (en revanche, dans la notation par symboles, le produit est représenté par un point médian ou par une espace) :
Unité | Symbole | |
---|---|---|
newton(s)-mètre(s) | N ⋅ m ou N m | |
pascal(s)-seconde(s) | Pa ⋅ s ou Pa s |
Dans certains contextes techniques, les quotients d’unités du type a/b sont plutôt notés sous forme de produit par l’unité inverse (a ⋅ b–1), ce qui est strictement équivalent du point de vue mathématique. Ainsi trouve-t-on parfois le symbole km ⋅ h–1 au lieu de km/h.
La question de départ mentionne une autre forme, avec barre oblique : kilomètre/heure. On l’évitera dans la langue technique, qui préfère d’une part réserver cette barre oblique à la notation avec symboles (km/h) et, d’autre part, comme on l’a vu, utiliser avec les noms d’unités la préposition par : kilomètre par heure. On l’évitera aussi dans la langue courante, qui préfère utiliser un trait d’union pour représenter un nom composé par apposition (kilomètre-heure). Bref, aussi bien laisser tomber cette notation hybride kilomètre/heure.
Passons donc en revue les candidats examinés :
La voiture roule à 100 km/h. (symbole)
La voiture roule à 100 km ⋅ h–1. (variante mathématique du symbole)
La voiture roule à 100 kilomètres par heure. (surtout dans la langue technique)
La voiture roule à 100 kilomètres à l’heure. (courant)
La voiture roule à 100 kilomètres-heure. (courant, à éviter en technique)
*La voiture roule à 100 kilomètres/heure. (notation hybride à éviter)
D’autres hybrides à proscrire sont les notations qui mélangent un nom d’unité et un symbole :
*100 km par heure
*100 km à l’heure
*100 km-heure
*100 km/heure
*100 kilomètres par h
*100 kilomètres à l’h
*100 kilomètres-h
*100 kilomètres/h
Quant au nombre qui précède, on peut l’écrire en toutes lettres, sauf si l’unité est représentée par son symbole (l’emploi de symboles commande l’emploi de chiffres) :
cent kilomètres par heure
cent kilomètres à l’heure
cent kilomètres-heure
*cent km/h
La langue familière, friande de vitesse, mange parfois les kilomètres :
La voiture roule à cent à l’heure.
La voiture faisait du cent à l’heure.
Elle va plus loin dans l’ellipse. Il y a parfois aussi l’heure de tombée :
La voiture faisait du cent.
Ces tours elliptiques sont à éviter en dehors du registre familier.
Concluons cette section en relevant dans Antidote l’existence de l’adjectif dérivé horokilométrique. Le terme compteur horokilométrique peut ainsi désigner un compteur de vitesse où celle-ci est exprimée en kilomètres à l’heure. Plus fréquemment, cette locution désigne un taximètre qui indique pour une course le temps écoulé et la distance parcourue.
Constructions similaires avec heure
Fréquence avec fois
Dans l’expression d’une fréquence, le mot heure se trouve souvent combiné avec le mot fois. Le tour habituel emploie la préposition par, sans déterminant :
trois fois par heure
Mais on trouve occasionnellement, dans la langue non technique, les prépositions à ou dans introduisant le nom heure muni du déterminant défini :
trois fois à l’heure
trois fois dans l’heure
Et, un peu moins rare, la construction sans préposition :
trois fois l’heure
Salaire horaire
Cette même construction sans préposition est la plus courante pour exprimer le taux horaire d’un salaire, d’une rémunération :
Il gagne vingt euros l’heure.
Le tour avec par et sans déterminant est également fréquent (c’est le tour usuel pour les autres unités de temps comme jour, mois et année) :
Il gagne vingt euros par heure.
Le tour avec la préposition à est plus rare, mais également correct :
Il gagne vingt euros à l’heure.
Enfin, la construction avec la préposition de est répandue, bien qu’elle ait parfois été critiquée comme « relâchée » ou populaire. On la réservera au registre familier :
Il gagne vingt euros de l’heure.
Antidote consigne d’ailleurs une locution familière construite sur ce modèle et signifiant « éprouver un profond ennui » :
s’ennuyer à cent sous de l’heure
Dans cette locution apparue à la fin du xixe siècle, les cent sous sont parfois remplacés par une autre valeur, effet probable de l’inflation, et différents verbes synonymes sont possibles, comme s’embêter et un autre qui débute par s’em…
C’est tout pour l’heure, mais l’écriture des unités résultant de produits (pascal-seconde), sujet ici seulement effleuré, présente son propre lot de difficultés, qui feront l’objet d’une prochaine chronique.