Bonne ancienne année
Le premier mois de l’année est maintenant chose du passé. Mais si vous viviez dans la Rome primitive, ce serait chose de l’avenir, puisque mars, et non janvier, marquait le début de l’année. Encore plus surprenant, février n’existait pas encore ! Celui-ci fera plus tard son apparition en devenant l’avant-dernier mois, puis le dernier avant d’occuper son deuxième rang actuel. Si ces tribulations vous paraissent déroutantes, l’histoire de mots qui suit vous permettra d’y voir plus clair. Mais permettez-nous d’abord d’adopter un instant le calendrier primitif afin de vous souhaiter une bonne et heureuse année !
février
Les premiers Romains célébraient, au milieu du mois de février, une fête en l’honneur de la déesse Junon, épouse (et sœur jumelle !) de Jupiter. Lors de cette fête, elle faisait office de purificatrice, d’où son surnom de Junon februa ‘Junon purificatrice’. Le qualificatif februa, d’origine sabine, aurait signifié d’ailleurs ‘nettoyage’ et est étroitement lié au mot latin februum désignant un objet de purification (ex. : laine, épeautre, sel, rameau d’olivier ou de pin).
L’appellation latine du mois de février, februarius, a été dérivée de la racine febru- de ces mots à l’aide du suffixe -arius ‘relatif à’. Altérée par le latin populaire en febrarius, elle aboutit à la forme française février, entre autres par l’affaiblissement du [b] en [v] (comme fève provenant de faba) et la diphtongaison du [a] en [yé] (comme grenier provenant de granarium).
Tout comme le mois de janvier, le mois de février n’existait pas dans le calendrier romain primitif, parce qu’on ne comptait pas les jours durant l’hiver. Il a été ajouté au calendrier au VIIe siècle av. J.‑C., mais il précédait alors le mois de janvier. Le calendrier républicain, adopté vers 450 av. J.‑C., a inversé l’ordre de janvier et de février, tout en les laissant figurer comme les deux derniers mois de l’année. Ce serait vers 153 av. J.-C. que janvier aurait enfin été désigné comme premier mois de l’année, faisant de février le deuxième mois.
mars
Le mois de mars a été placé par les Romains sous la protection de Mars, dieu de la guerre, parce que l’arrivée du printemps annonçait les nouvelles campagnes militaires après la trêve hivernale. À l’origine, ce mois commençait l’année romaine. Selon certaines sources, ce n’est qu’en 153 av. J.-C. qu’il devint le troisième mois de l’année.
Le nom latin du mois de mars, martius, est un adjectif dérivé de Mars (dont les formes fléchies commencent d’ailleurs par Mart-). La chaine -ti- de martius s’est palatalisée pour donner -z- en ancien français (prononcé [ts], comme son correspondant italien marzo), simplifié plus tard en -s-, donnant mars. On en revenait ainsi au nom même du dieu à la fin de cette évolution.
Selon les règles de l’évolution phonétique naturelle du français, on ne devrait pas prononcer le s final de mars, tout comme pour jars, de même terminaison. Cette prononciation sans s est néanmoins attestée régionalement ; elle était, par exemple, courante dans le Québec d’autrefois. On peut supposer qu’elle était entendue même en français central puisque, depuis son édition de 1798, le dictionnaire de l’Académie française prend la peine d’informer le lecteur que le s de mars se prononce. Cette entorse à l’évolution phonétique naturelle, qu’ont subie aussi d’autres mots tels que sens et ours, pourrait s’expliquer par le désir d’allonger un mot senti trop court afin d’éviter une confusion avec d’autres mots homonymes ou paronymes.
Le contenu de nos Histoires de mots est tiré des notices étymologiques du dictionnaire historique d’Antidote 8.