Résoudre, solution et leurs environs
Le verbe résoudre, le nom solution et d’autres membres de leur famille étymologique élargie présentent des particularités d’usage ou des difficultés d’écriture que l’on tentera de résoudre. Allons-y donc résolument.
résoudre : conjugaison
L’illustration ci-dessous est une capture d’écran du dictionnaire de conjugaison d’Antidote, qui affiche les formes du verbe résoudre conjugué aux temps simples. C’est un verbe irrégulier, mais on peut y dégager certains motifs morphologiques, que l’on fait ici ressortir à l’aide d’encadrés, de trois couleurs différentes.
On voit que la conjugaison est distribuée à peu près également entre trois radicaux légèrement différents : résou-, résolv- et résolu-.
Le radical résou- (dans les encadrés rouges) est utilisé aux personnes du singulier du présent de l’indicatif et de l’impératif, ainsi qu’à l’ensemble du futur simple et du conditionnel présent, sans oublier l’infinitif présent. Il est également présent dans une forme rare du participe passé sur laquelle nous reviendrons plus loin.
Sans doute sous l’influence de la conjugaison d’autres verbes en ‑dre, comme prendre ou moudre, une faute fréquente et compréhensible consiste à maintenir le d de résoudre dans les trois premières formes du présent de l’indicatif :
*je résouds
*tu résouds
*il / elle / on résoud
Mais, pour les verbes en ‑soudre comme pour les verbes en ‑indre, le d ne figure qu’à l’infinitif, au futur simple et au conditionnel présent. On se résoudra donc à écrire plutôt :
je résous
tu résous
il / elle / on résout
Remarque étymologique : contrairement au d de prendre, celui de résoudre ne remonte pas à son étymon latin, le verbe resolvere. Il est plutôt apparu en ancien français pour faciliter le passage du l au r dans la forme resouldre, qui est devenue résoudre après la vocalisation du l.
Le radical résolv- (encadrés verts) est utilisé aux personnes du pluriel du présent de l’indicatif et de l’impératif, ainsi qu’à l’ensemble de l’imparfait de l’indicatif et du présent du subjonctif, sans oublier le participe présent. On outrepasse son champ d’action quand on l’utilise à tort au futur simple et au passé simple. Exemples à ne pas suivre :
*je résolverai
*ils résolvèrent
On a vu que le futur simple demande plutôt je résoudrai. Quant au passé simple, c’est le radical résolu- (encadrés bleus) qui est employé :
ils résolurent
On voit qu’il est également employé à l’imparfait du subjonctif. C’est aussi le radical de la forme courante du participe passé :
résolu
résolus
résolue
résolues
Antidote signale en plus ces variantes rares du participe passé :
résous/résout
résous/résouts
résoute
résoutes
On trouve celles-ci surtout au sens scientifique de « décomposé, séparé » :
une vapeur résoute en gouttelettes
Pour ce sens, les variantes masculines résout et résouts sont des recommandations des rectifications de l’orthographe qui offrent l’avantage de la régularité avec les formes féminines.
Signalons enfin que les lointains cousins étymologiques que sont les verbes absoudre et dissoudre (avec ses dérivés autodissoudre, prédissoudre et redissoudre) présentent une conjugaison à trois radicaux qui est parallèle à celle de résoudre, à la différence que leur participe passé est toujours en -sou-, par exemple :
dissous/dissout
dissous/dissouts
dissoute
dissoutes
Là encore, les variantes masculines du participe passé qui contiennent un t sont des recommandations des rectifications de l’orthographe.
résoudre à faire… ou résoudre de faire… ?
L’un des sens du verbe résoudre est « décider ». Il peut avoir pour complément une proposition infinitive introduite par à ou par de, selon le contexte.
Lorsque la phrase contient aussi un complément direct indiquant la personne, la proposition infinitive est introduite par à :
J’ai résolu mon frère à changer ses plans.
Elle s’est résolue à faire plus de sport.
Nous devrons nous résoudre à abandonner le projet.
En l’absence de complément indiquant la personne, on utilise de :
J’ai résolu de changer mes plans.
Elle a résolu de faire plus d’exercice.
Nous devrons résoudre d’abandonner le projet.
Avec résolu employé comme adjectif, on a le choix entre à (plus fréquent) et de :
C’est une femme résolue à changer l’état des choses.
C’est une femme résolue de changer l’état des choses.
Ils sont résolus à faire la grève.
Ils sont résolus de faire la grève.
Ajoutons que c’est toujours à qui s’emploie quand le complément indirect du verbe ou le complément de l’adjectif est un groupe nominal au lieu d’une proposition infinitive :
On l’a résolu à l’abdication.
Cette famille s’est résolue à l’exil.
C’est une femme résolue à bien des sacrifices.
Ils sont résolus à la grève.
résoluement ? résolûment ? résolument ?
On sait que les adverbes en ‑ment dérivent souvent de la forme féminine de l’adjectif correspondant. Par exemple, l’adjectif cruel a pour féminin cruelle, forme d’où l’on tire l’adverbe cruellement, plutôt que cruelment. On peut donc légitimement se demander si ce n’est pas aussi le mode de formation de l’adverbe dérivé de l’adjectif résolu* (« fermement décidé, déterminé »).
L’orthographe des adverbes en ‑ment dérivés d’adjectifs en ‑u a souvent une histoire compliquée. En ancien ou moyen français, ils se terminaient en ‑uement (comme resoluement) et la lettre e qui suivait le u se prononçait, formant un hiatus. Mais en français classique ce e s’est amuï et, en compensation, on allongeait parfois la prononciation du u. À l’écrit, on a parfois voulu rappeler ce phénomène par le maintien de la lettre e ou en remplaçant celle-ci par un accent circonflexe sur le u (on trouve résolûment dans des éditions du Dictionnaire de l’Académie française des xviiie et xixe siècles)1. De nos jours, la plupart de ces adverbes s’écrivent en ‑ument, et c’est absolument le cas de résolument. Ils s’alignent sur une règle voulant que, pour la majorité des adjectifs se terminant au masculin par une voyelle (joli, résolu), on forme l’adverbe par simple ajout du suffixe ‑ment à cette forme masculine (joliment, résolument).
résoudre ou solutionner ?
La conjugaison compliquée de résoudre est souvent invoquée pour expliquer l’emploi fréquent du verbe concurrent solutionner (« trouver une solution à »). Ce dérivé du nom solution, qui s’est répandu au xxe siècle, présente l’avantage d’un radical transparent et d’une conjugaison régulière, en plus de ne pas être polysémique comme résoudre. Mais il est parfois critiqué pour sa lourdeur ou sa superfluité.
Ce n’est pas le seul verbe dérivé d’un nom en ‑tion qui fait double emploi. On fait parfois le même reproche au verbe familier émotionner, qui concurrence émouvoir. On semble moins s’émouvoir de l’existence de démissionner à côté de démettre, ou encore de contusionner, qui a démis contondre.
Quoi qu’il en soit, on pourra juger préférable d’éviter solutionner dans un registre soigné. Les solutions de rechange ne manquent pas : outre résoudre, on pourra puiser dans le dictionnaire de synonymes d’Antidote des équivalents comme régler, dénouer, élucider…
Un problème résoluble ? soluble ? résolvable ? solvable ? solutionnable ?
Quel adjectif faut-il utiliser pour qualifier un problème que l’on peut résoudre, qui peut recevoir une solution ? Plusieurs candidats vraisemblables peuvent se bousculer dans l’esprit.
L’adjectif résoluble ne dérive pas directement du verbe français résoudre, mais a été emprunté au latin tardif resolubilis (« qui peut être désagrégé ») lui-même dérivé du verbe resolvere. Ses sens concrets sont devenus relativement rares à côté du sens juridique « qu’il est possible d’annuler » et aussi du sens qui nous intéresse, soit « qui peut recevoir une solution ». On peut donc tout à fait parler d’un problème résoluble. Un antonyme dérivé plausible serait irrésoluble, mais ce mot est inusité (en revanche l’adjectif irrésolu est courant ; il qualifie en outre une personne qui manque de résolution, qui fait preuve d’indécision).
Cela dit, la cooccurrence problème résoluble est moins fréquente que problème soluble. L’adjectif soluble vient du latin solubilis (« qui peut être dissous »). Il a revêtu au fil du temps divers sens concrets et abstraits et, sous l’influence du nom solution, il en est venu à s’appliquer aussi à un problème. La cooccurrence antonyme problème insoluble est fréquente. L’adjectif insoluble n’est pas une dérivation directe de soluble, mais remonte lui aussi au latin.
Pour leur part, l’adjectif solvable et son antonyme insolvable existent bien en français et ont une lointaine parenté étymologique avec résoudre, mais leur sens relève d’un domaine tout autre. Solvable qualifie une personne qui a les moyens d’acquitter ses dettes, de payer ses créanciers :
un débiteur solvable
un locataire insolvable
*un problème solvable
*une question insolvable
Des erreurs comme les deux derniers exemples ci-dessus s’expliquent peut-être par l’influence de l’anglais, langue où les adjectifs solvable et insolvable sont effectivement employés pour qualifier des problèmes.
L’anglais connait aussi dans ce sens le mot resolvable, une forme inusitée en français.
Quant à solutionnable, les mêmes réserves valent que pour le verbe solutionner, dont il est dérivé et dont il a été question plus haut.
solution de continuité
La locution nominale solution de continuité signifie « absence de continuité, rupture, interruption ». Elle est parfois source de confusion, car elle utilise une acception rare du nom solution, qui correspond au sens « désagrégation » de son étymon latin solutio, sens que l’on trouve aussi dans le nom français dissolution.
L’expression solution de continuité est apparue dans la langue médicale médiévale à propos de plaies et de fractures (on dit aussi solution de contigüité à propos de la séparation de deux structures normalement en contact). Elle s’est progressivement généralisée en s’appliquant à diverses choses concrètes puis abstraites. Voici des exemples d’utilisation :
La membrane présente une solution de continuité.
La surface est parfaitement lisse, sans solution de continuité.
Il faut éviter toute solution de continuité dans l’approvisionnement.
Cette digression inutile introduit une fâcheuse solution de continuité dans le récit.
L’expression est parfois utilisée à tort avec le sens courant de solution, c’est-à-dire comme signifiant globalement « moyen d’assurer la continuité, solution pour éviter une interruption » :
*Il faut trouver une solution de continuité dans l’approvisionnement pour éviter toute pénurie.
La phrase qui précède est un contresens. Il faudrait la reformuler, en disant par exemple :
Il faut trouver le moyen d’assurer un approvisionnement continu pour éviter toute pénurie.
Le communisme est-il soluble dans l’alcool ?
Cette question non linguistique, qui semble marquer une solution de continuité dans le propos, est le titre d’un recueil d’histoires drôles politiques qui circulaient discrètement en Europe de l’Est à l’époque soviétique2. Ce qui vaut à ce titre de figurer ici, c’est sa productivité phraséologique : il est devenu un cliché « à trous » ou « à variables », c’est-à-dire que la phrase-question, qui évoque les ouvrages didactiques de chimie, est souvent reprise, mais avec remplacement des deux mots communisme et alcool par deux autres mots (X est-il soluble dans Y ?) choisis au gré de l’actualité par la personne qui rédige et qui demande si les deux concepts ainsi rapprochés sont compatibles, réconciliables. Le double sens de l’adjectif soluble (« qui peut être dissous » et « qui peut être résolu ») explique peut-être le succès de la formule, qui fleurit particulièrement dans la langue journalistique. Voici un exemple, fictif mais d’actualité :
L’intelligence artificielle est-elle soluble dans la démocratie ?
Solution au prochain numéro ?
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On peut comparer sur le site du Dictionnaire de l’Académie les neuf versions successives de l’article consacré à l’adverbe résolument. ↩
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Meyer, Antoine, et Philippe Meyer. Le communisme est-il soluble dans l’alcool ?, Paris, Seuil, 1978. ↩