L’adjectif standard a-t-il deux pluriels standard(s) ?
Une utilisatrice nous écrit :
J’aimerais seulement vous faire part d’une erreur que le logiciel Antidote n’a pas relevée. J’avais écrit des cartes à puce standards, mais Antidote ne m’a pas indiqué que standard est un adjectif invariable. J’ai vérifié dans mon Robert parce que l’orthographe semblait étrange et le mot était effectivement mal épelé.
S’il est vrai que certains ouvrages de référence continuent de considérer l’adjectif standard comme invariable (des cartes standard), plusieurs autres ouvrages permettent aussi, voire recommandent, la variabilité en nombre (des cartes standards). Antidote autorise les deux pluriels. Quant à l’usage réel, un tour du côté d’un moteur de recherche comme Google confirme que la variabilité en nombre est de nos jours à peu près aussi fréquente que l’invariabilité. Cela va dans le sens de l’évolution habituelle des emprunts.
Un emprunt est un mot d’origine étrangère accepté dans une autre langue. En français, c’est le cas par exemple du nom yogourt, d’origine turque, ou du nom yogi, qui provient du sanscrit. Les langues s’empruntent ainsi des mots pour combler, entre autres, le besoin de désigner de nouvelles réalités. C’est surtout quand la langue d’accueil dispose déjà d’un mot pour désigner cette même réalité que le mot emprunté sera critiqué ou condamné par les grammairiens.
Un emprunt a tendance à être d’abord intégré sous sa forme d’origine, qui ne respecte pas toujours les règles de la langue d’accueil. C’est le cas de l’adjectif anglais standard, qui est invariable comme tous les adjectifs dans cette langue : c’est donc dans sa forme invariable qu’il a d’abord été utilisé en français. Toutefois, la langue d’accueil assimile progressivement le mot emprunté en le pliant à ses règles. Ainsi, le pluriel standards est devenu fréquent et accepté en français, puisque le s marque habituellement le pluriel des adjectifs dans cette langue. D’ailleurs, conformément à cette tendance, les récentes rectifications orthographiques recommandent d’écrire l’adjectif standard avec un pluriel conforme au français, donc standards.
L’on pourrait se demander : pourquoi alors ne pas permettre également la variabilité en genre ? Pourquoi ne pas écrire une carte standarde, comme une femme vantarde ? Ce serait effectivement l’aboutissement logique de la francisation de cet adjectif, mais comme en français les règles de formation du féminin sont moins simples que celles de la formation du pluriel et entrainent plus souvent un changement de prononciation, l’usage semble en général moins pressé à marquer la variabilité en genre des emprunts que leur variabilité en nombre. De plus, l’adjectif standard ne semble pas encore senti comme complètement autonome par rapport au nom masculin un standard. À ce jour, aucun ouvrage de référence ne permet d’écrire une pièce standarde, mais cela pourrait venir, si l’on en juge les quelques centaines d’occurrences de standarde(s) que l’on peut relever chez les internautes francophones.
Pour conclure, remarquons que la francisation de cet adjectif n’est au fond qu’un juste retour des choses : ce mot standard que nous a transmis la langue anglaise, elle l’avait emprunté à l’époque médiévale au… français, sous la forme estandart (« étalon de poids »).