Inauguration présidentielle
À l’occasion du récent changement de locataire à la Maison-Blanche, nous avons reçu cette question :
Comment faut-il traduire le mot anglais inauguration utilisé par les Américains pour la cérémonie d’entrée en fonction de leur nouveau président ? Je trouve différents termes dans la presse : inauguration, investiture, assermentation…
Commençons par quelques précisions. De nos jours, cette cérémonie se déroule habituellement le 20 janvier, plusieurs semaines après l’élection présidentielle, qui se tient tous les quatre ans au début de novembre. Celle-ci est en fait une élection indirecte, où les citoyens choisissent les grands électeurs (membres du collège électoral), qui à leur tour votent pour le président en décembre. Ce vote doit lui-même être entériné par le Congrès au début de janvier, avant que le président puisse officiellement entamer son mandat le 20 janvier.
En pratique, ces étapes intermédiaires sont de simples formalités, et c’est dès l’élection de novembre que l’identité du prochain président est connue. La période de transition est donc relativement longue, une dizaine de semaines. Dans l’intervalle, le vainqueur, s’il n’était pas déjà président, est appelé en anglais president-elect, terme que l’on traduit par président élu ou président désigné. Celui qui est sur le point de lui transmettre les clés de la Maison-Blanche est alors parfois appelé incumbent president, c’est-à-dire président en exercice, ou encore outgoing president, soit président sortant. À remarquer toutefois que, dans un contexte politique, cet adjectif sortant est de sens plus large. Il est souvent utilisé pendant une campagne électorale, donc avant l’élection, pour qualifier la personne, par exemple un député, dont le mandat électoral tire à sa fin, sans préjuger du fait qu’il se représente ou non à l’élection ou qu’il en sorte vainqueur ou non. Après l’élection, sortant est généralement utilisé au sens de « qui devra quitter son poste ».
Dans le cas où un président américain tente de se faire réélire et échoue, il est souvent qualifié, durant la période de transition qui suit, de lame duck, expression familière imagée signifiant littéralement « canard boiteux ». Le terme s’emploie aussi plus généralement, à propos de tout président dont le séjour à la Maison-Blanche touche à sa fin et dont l’influence est sur le déclin.
Venons-en à la question concernant la cérémonie du 20 janvier, jour appelé Inauguration Day en anglais. On trouve en effet une variété de traductions. Passons-les en revue.
inauguration
Le premier réflexe est de reprendre le mot inauguration tel quel en français. Est-ce juste ? Peut-on parler, par exemple, de l’inauguration du président ou de l’inauguration d’Untel ?
Il est vrai qu’anciennement, inauguration pouvait avoir comme complément un nom de personne, mais dans un contexte particulier. Le mot désignait une cérémonie religieuse qui se pratiquait lors du couronnement d’un souverain ou d’un dignitaire ecclésiastique, ce qu’on appelle plus couramment sacre. On pouvait donc dire l’inauguration du roi ou l’inauguration de l’évêque.
De nos jours, inauguration s’emploie seulement à propos de choses que l’on ouvre ou que l’on met officiellement en service, comme des monuments, des édifices, diverses manifestations : l’inauguration du musée, l’inauguration de la gare, l’inauguration d’une exposition. On utilise aussi le mot avec des noms de choses abstraites pour parler de leur commencement : l’inauguration d’un âge de prospérité, l’inauguration d’une période de troubles. Dans ce dernier sens, il est tout à fait légitime de dire par exemple que le 20 janvier marque l’inauguration de la présidence d’Untel ou l’inauguration de son mandat (présidentiel), mais on évitera de dire qu’il s’agit de l’inauguration d’Untel ou de l’inauguration du président. Quant à des expressions comme jour de l’inauguration ou cérémonie de l’inauguration pour parler du 20 janvier, elles gagneraient à être précisées avec un complément, par exemple : jour de l’inauguration de la présidence (d’Untel).
investiture
Le mot français investiture est habituellement donné dans les dictionnaires bilingues anglais-français comme équivalent d’inauguration pour parler de l’entrée en fonction du président américain et des cérémonies qui l’accompagnent. Cet équivalent est fréquemment employé dans la presse francophone, notamment européenne. Curieusement, ce sens d’investiture est généralement ignoré des dictionnaires français monolingues, du moins dans cet emploi précis, peut-être parce qu’il est trop récent. En excluant de vieux sens féodaux et religieux, le sens politique moderne d’investiture le plus souvent consigné est celui d’« acte officiel qui permet à un parti politique de désigner son ou ses candidats à une élection ». Par exemple, lors de chacune des deux conventions (républicaine et démocrate) qui précèdent de quelques mois l’élection présidentielle, un candidat obtient l’investiture de son parti et prononce à cette occasion un discours d’investiture, c’est-à-dire un discours d’acceptation de la mission électorale qui lui est confiée. Cet emploi du mot investiture se rencontre aussi en politique française (briguer, remporter l’investiture de tel parti) ou québécoise (assemblée d’investiture dans une circonscription).
Le mot peut toutefois revêtir un sens plus large et désigner tout acte par lequel une autorité accorde sa confiance à une personne, non seulement pour représenter un parti, mais aussi pour exercer une fonction gouvernementale. Par exemple, dans la Constitution de l’éphémère IVe République française, le terme désignait le vote par lequel l’Assemblée nationale autorisait le président du Conseil désigné par le président de la République à former le gouvernement. Dans l’actuelle Ve République, le mot investiture en est venu à désigner aussi l’entrée en fonction officielle du président de la République, une dizaine de jours après son élection.
Cet emploi du mot est souvent transposé dans le contexte américain, où, à propos des cérémonies du 20 janvier, on usera couramment d’expressions comme : investiture du président, jour d’investiture, cérémonies d’investiture. Il faut toutefois faire attention aux possibles ambigüités permises par les deux sens du mot. Par exemple, sans contexte suffisant, une expression comme le discours d’investiture désigne-t-elle le discours d’acceptation prononcé par le candidat lors de la convention préélectorale de son parti ou bien le discours prononcé lors de son entrée en fonction comme président ?
assermentation et prestation de serment
Le moment le plus solennel des cérémonies du 20 janvier est celui où, à midi, sur les marches du Capitole, le président élu prête serment devant le juge en chef des États-Unis et devient du même coup officiellement président. La locution nominale prestation de serment désigne cette « action de prêter serment ». Par métonymie, elle peut désigner l’ensemble des cérémonies dont elle constitue le temps fort.
De la même manière, le nom assermentation est fréquemment employé par la presse québécoise et suisse. Il signifie « action de faire prêter serment ou de prêter serment » et vient du verbe assermenter, « faire prêter serment ». Ces mots peuvent s’employer à propos de parlementaires ou de certains employés publics qui entrent officiellement en fonction, ou encore de témoins à qui l’on fait prêter serment devant un tribunal. Les dictionnaires français marquent généralement le nom assermentation comme un régionalisme limité au Québec, à la Suisse et au Luxembourg. Par ailleurs, ceux qui mentionnent le verbe assermenter ne l’affectent pas de marque régionale particulière. Comme assermentation est un mot de formation régulière et de sens plutôt transparent, son emploi ne pose pas de réel problème de compréhension, mais il faut être conscient qu’il est inusité en France.
installation
Le nom installation peut s’avérer une option utile dans notre contexte. Ce mot devenu courant a pour sens premier celui de la mise en possession solennelle d’une charge ecclésiastique : installation d’un évêque, d’un curé. Il est apparenté au mot stalle, siège en bois à dossier haut situé dans le chœur d’une église et destiné aux membres du clergé qui s’y « installaient ». Avec le temps, l’emploi d’installation s’est étendu aux magistrats, fonctionnaires et autres employés publics en désignant l’action de les établir officiellement dans leur poste, leur fonction, leur emploi. Il peut aussi se dire de chefs d’État (l’installation du nouveau président) en particulier avec un complément de lieu évoquant la fonction (l’installation d’Untel à la Maison-Blanche).
intronisation
Après la stalle, le trône… Le nom intronisation renvoie normalement à l’installation solennelle sur le trône d’un souverain, d’un pape, d’un évêque. Mais, par analogie, il s’emploie aussi occasionnellement à propos de l’accession de quelqu’un à une haute fonction politique. La connotation monarchique de son étymon trône lui confèrera une valeur plus ou moins ironique selon le contexte. On en usera avec parcimonie et circonspection.
entrée en fonction(s) et prise de fonction(s)
La locution nominale entrée en fonction, d’ailleurs utilisée dans la question initiale, est une autre solution tout à fait valable. Elle est d’un niveau plus générique, s’appliquant en principe à toute fonction. S’agissant du président américain, elle exprime clairement qu’il est question du début du mandat effectif, et non du moment de l’élection ou de la nomination. Les mêmes remarques valent pour la locution synonyme prise de fonction.
Petite difficulté orthographique : dans ces deux locutions, faut-il écrire fonction ou fonctions ? Antidote permet les deux variantes. L’examen des corpus montre que la graphie entrée en fonctions était nettement majoritaire jusque vers le milieu du xxe siècle, moment où elle a amorcé un déclin, supplantée par entrée en fonction. Quant à la locution prise de fonction(s), plus récente, c’est aussi la variante écrite avec fonction au singulier qui est aujourd’hui la plus fréquente. Cette tendance s’observe d’ailleurs avec d’autres expressions ou tournures dans lesquelles fonction signifie « tâche » ou « emploi ».
passation de(s) pouvoir(s)
Voilà une dernière expression pouvant servir dans le contexte qui nous occupe. Comparativement au verbe passer dont il dérive, le nom passation est employé dans un nombre très limité d’expressions, mais passation des pouvoirs est une locution consacrée, qui signifie « transmission des pouvoirs administratifs ou politiques à son successeur ». Par rapport aux termes que nous avons précédemment examinés, elle met l’accent sur la continuité de la fonction au-delà des personnes qui l’occupent.
Pour cette expression aussi, l’usage est hésitant quant à la forme exacte : passation des pouvoirs, passation de pouvoirs, passation de pouvoir, passation du pouvoir… La forme passation des pouvoirs était prédominante jusque vers le tournant du siècle, mais elle est talonnée par passation de pouvoir et l’on semble être en train d’assister à une lente passation de pouvoir attractif entre ces deux formes.
Conclusion
Cette panoplie d’expressions et d’explications devrait permettre de faire un choix éclairé ou de varier son vocabulaire, en fonction de l’aspect particulier sur lequel on veut insister. Il est aussi possible de combiner plusieurs de ces termes, comme dans cet exemple irréprochable remontant à plus d’un siècle (1913) :
M. Woodrow Wilson a inauguré sa présidence, le mardi 4 mars, par les cérémonies traditionnelles et assez solennelles de la prestation de serment au Capitole et de l’installation à la Maison-Blanche1.
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Angot des Rotours, Baron. « Le mouvement économique et social », la Réforme sociale, 16 avril 1913, p. 571. ↩