Histoires de mots - 7 mars 2011 - 2 min

Des animaux personnifiés

Le français a puisé plusieurs prénoms féminins dans la nature, par exemple parmi les noms de fleurs :RoseIrisViolette… Pourtant, la nature n’a guère inspiré les prénoms masculins. Au contraire, ce sont plutôt les prénoms masculins qui ont été appliqués à la nature, particulièrement pour désigner des animaux. Certains n’ont pas réussi à s’imposer, comme Jacques et Robert qui avaient été attribués, sous leurs diminutifs jacquet et robin, à l’écureuil et au mouton. D’autres ont eu plus de fortune en reléguant même parfois le mot traditionnel aux oubliettes. Voici la petite histoire de trois d’entre eux : MartinPierre et Renard.

Martin

Le prénom Martin a donné naissance à pas moins de quatre noms d’oiseaux : martinetmartinmartin-pêcheur et martin-chasseur. Ces mots semblent exister depuis au moins le moyen français, sauf martin-chasseur, connu seulement depuis le français moderne.

La provenance de martinet, dans le sens ‘oiseau’, est incertaine. Certains auteurs ont associé ce mot à la fête de la Saint-Martin, qui aurait correspondu à la période de migration des martinets. Les sens ‘chandelier’, ‘fouet’ et ‘cordage’ du mot auraient ensuite été créés par analogie avec l’oiseau : avec la forme de son corps, pour le premier ; avec sa queue étalée, pour les autres. C’est le mot martinet qui aurait formé le nom commun martin désignant l’oiseau et non le contraire. D’ailleurs, martin-pêcheur provient de l’adaptation d’une forme plus ancienne martinet-pescheur (martinet-pêcheur). Quant à martin-chasseur, désignant diverses espèces d’oiseaux exotiques de la même famille que le martin-pêcheur, il a été simplement calqué sur martin-pêcheur par l’ornithologue François Vaillant lors d’un voyage en Afrique au cours des années 1780.

Le prénom Martin n’a pas seulement désigné des oiseaux, mais aussi des ânes et même des ours de ménagerie. C’est ce que rappelle l’expression Il y a plus d’un âne à la foire qui s’appelle Martin, aujourd’hui vieillie. Le sens ‘marteau à soulèvement’ de martinet et, peut-être, le sens ‘plaque de fonte’ du nom commun martin rappellent aussi ce fait. Même si la raison précise du rapprochement entre l’âne et ces outils est nimbée de mystère, ce ne serait pas la première fois que le français aurait eu recours à des noms d’animaux pour nommer des outils (ex. : chevaletbélierhérisson).

Pierre

À l’instar de Martin, plusieurs noms d’oiseaux viennent du prénom Pierre : perroquetperruche et pierrot.

Perroquet est attesté depuis le début du moyen français, d’abord sous la forme paroquet. Il a supplanté rapidement le mot antérieur papegai. Il constitue le diminutif non attesté de perrot de même sens ; une forme dialectale parrot a d’ailleurs été perpétuée par l’anglais. Ces formes sont issues du nom propre homonyme Pierrot, diminutif de Pierre. Le mot perroquet serait donc en fait le diminutif d’un diminutif...

Perruche est plus récent. Apparu à la fin du XVIIe siècle, il pourrait être issu par resuffixation d’un des deux mots suivants désignant le perroquet : perrot ou perrique. Ce dernier a connu une histoire parallèle à celle deperrot, puisqu’il constitue l’adaptation du mot espagnol perico, diminutif de l’ancienne variante Pero de Pedro ‘Pierre’.

Dans le sens de ‘moineau’, pierrot a été utilisé pour la première fois par le célèbre fabuliste Jean de La Fontaine. Il est resté cantonné dans un registre familier sans réussir à déclasser le terme moineau. On en a dérivé par resuffixation un féminin pierrette à la toute fin du XVIIIe siècle, lui aussi familier. Soit dit en passant, pierrot pouvait aussi désigner en français classique un geai apprivoisé.

Renard

Renard a tout d’abord été, au Moyen Âge, un prénom courant qu’on écrivait Renart. Comme les autres prénoms en -ard (ex. : Richard) ou en -art (ex. : Stuart), il est d’origine germanique. Plus précisément, il est l’adaptation française de Reginhard. Ce prénom francique remonterait à un germanique ragin-harduz ‘bien avisé’, décomposable en ragin ‘conseil’ et harduz ‘fort’ (de même origine que l’anglais hard ‘dur’).

En tant que nom commun, renard est utilisé depuis le tournant du XIIIe siècle et a progressivement dominé le terme antérieur goupil, qui a néanmoins survécu jusqu’au XVIIe siècle. Le passage du prénom masculin Renard à un emploi de nom commun s’explique par son emploi fréquent en littérature. En effet, les poèmes épiques médiévaux du nord-est de la France recouraient habituellement à ce prénom pour désigner des personnages de renards rusés (voir le Roman de Renart, où Renart le goupil tient le rôle principal) ; d’abord en latin médiéval, puis en ancien français. À cause de cette association fréquente, Renart le goupil a fini par s’appeler simplement renard. Signalons que cette évolution est l’inverse de celle du nom du célèbre justicier masqué, Zorro, où c’est le nom du renard (zorro en espagnol) qui a servi à surnommer le personnage.


Le contenu de nos Histoires de mots est tiré des notices étymologiques du dictionnaire historique d’Antidote 8.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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