Ce choix n’est szechuannais
Une utilisatrice travaillant dans le domaine de l’alimentation nous écrit :
Antidote ne connait pas le mot szechuanais. Il est évident que la province chinoise s’appelant en français Sichuan, l’adjectif ne devrait pas se transformer en francisation d’un mot anglais. Mais bon, tout le monde semble reconnaitre szechuanais mais pas Sichuan. Est-ce devenu acceptable ? Et puis, si on garde Sichuan, devrait-on dire du poulet Sichuan ou du poulet sichuannais ?
Le nom de cette province centrale de Chine, qui signifie littéralement « les quatre cours d’eau », a été transcrit de diverses façons en français et en anglais. Son adjectif dérivé connait aussi plusieurs variantes.
En français, le mot était traditionnellement écrit Setchouan ou, dans une forme plus savante, Sseu-Tch’ouan (avec plusieurs variantes pour chacune de ces formes). Ces formes sont du genre masculin.
En anglais, les graphies traditionnelles les plus courantes sont Szechuan et Szechwan.
Toutefois, dans ces deux langues, on tend à délaisser ces formes au profit de la transcription pinyin internationale Sichuan, officiellement recommandée en Chine, aux Nations unies et ailleurs. Par exemple, la prestigieuse Bibliothèque du Congrès des États-Unis a abandonné dans son système de classement la graphie Szechwan au profit de Sichuan. Au Canada, la forme Sichuan est aussi la forme privilégiée dans les deux langues officielles par des organismes comme le Bureau de la traduction du gouvernement fédéral, l’Office québécois de la langue française et la Commission de toponymie.
Les dictionnaires français ou anglais récents donnent généralement cette forme Sichuan comme la forme standard, tout en mentionnant parfois des variantes traditionnelles propres à chaque langue.
Quant au gentilé (adjectif dérivé et nom d’habitant dérivé), on l’a aussi écrit sous des formes variées dans ces deux langues, par exemple setchouanais, dérivé de la forme française traditionnelle Setchouan. On trouvera d’autres variantes dans l’entrée consacrée à Sichuan dans le Dictionnaire universel des gentilés en français. Avec l’essor de la forme Sichuan, c’est son dérivé sichuanais qui emporte désormais la faveur. Il s’écrit tout naturellement avec un seul n, suivant le modèle d’autres dérivés de noms de lieux en -an : taïwanais, libanais, soudanais, milanais, etc. Il n’y a aucune raison de doubler le n.
La graphie szechuannais, bien qu’elle soit en effet fréquente, est à éviter. Calquée du gentilé anglais correspondant szechuanese, c’est une construction bâtarde mélangeant un radical anglais, un suffixe français et un n inutilement doublé.
Dans le domaine plus précis de la cuisine, on peut signaler que le Grand Dictionnaire terminologique donne le terme cuisine du Sichuan, avec les synonymes cuisine setchouanaise et cuisine sichuanaise. Une note mentionne aussi de privilégier la variante Sichuan. Autre exemple, l’article de Wikipédia intitulé Cuisine sichuanaise.
Dans un contexte culinaire, si l’adjectif désigne une façon d’apprêter un mets, on pourrait aussi utiliser la tournure à la sichuanaise, qui est abondamment attestée dans l’usage. Tout comme on dit poulet à la cantonaise, on peut dire poulet à la sichuanaise. Dans cette tournure, qu’on peut interpréter comme étant la forme elliptique de poulet à la mode sichuanaise, c’est-à-dire « selon la recette sichuanaise », le mot sichuanaise est bien un adjectif et doit donc commencer par une minuscule.
La tournure poulet Sichuan, où le mot du est omis, est à éviter. On n’écrirait pas naturellement poulet Chine, alors pourquoi écrire poulet Sichuan ?
À ce sujet, ajoutons que la construction poulet du Sichuan est préférable à poulet de Sichuan. Avec les noms géographiques masculins, comme Sichuan, on utilise généralement, dans ce type de construction, le déterminant contracté du (c’est-à-dire de + le) plutôt que la préposition de. À l’inverse, avec les noms géographiques féminins (Chine), on utilise généralement la préposition de, sans déterminant féminin (poulet de Chine). Les termes zoologiques suivants illustrent ce principe (ceux qui sont précédés d’un astérisque sont incorrects) :
tigre du Bengale, cerf du Canada
*tigre de Bengale, *cerf de Canada
tigre de Sibérie, cerf de Virginie
*tigre de la Sibérie, *cerf de la Virginie
Revenons à nos poulets et concluons. Voici donc, en forme « digest », les formes digestes :
poulet du Sichuan
poulet sichuanais
poulet à la sichuanaise
Les rédacteurs plus traditionalistes retrouveront aussi dans le dictionnaire d’Antidote les variantes françaises déjà mentionnées Setchouan et Sseu-Tch’ouan, ainsi que leurs dérivés respectifs setchouanais et sseutchouanais.